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Le journal de Pok
14 avril 2023

"Sarek" de Ulf Kvensler : dans le Sarek, personne ne vous entendra crier…

Sarek couverture

Tout le monde – ou presque – a au moins vécu une fois dans sa vie ce cauchemar : partir en vacances avec des amis, que l’on ne connait pas vraiment en dehors de contacts occasionnels, ou professionnels, et découvrir qu’il s’agit en fait de gens que l’on ne fréquenterait pas, au point où toutes les vacances vont en être largement cachées. Rien que de très banal là-dedans, mais dans son Sarek (le nom d’un massif montagneux sauvage et isolé dans le nord de la Suède), Ulf Kvensler imagine le pire : voilà que Jacob, le nouvel amoureux de Milena, qui s’est joint de manière impromptue à la randonnée qu’Anna, son mari Henrik, et leur amie Milena s’offrent chaque année, se révèle rapidement être un pervers narcissique du plus bel acabit. Et peut-être même un véritable psychopathe ! Sans parler du fait que les randonneurs ne se bousculent pas dans le coin au mois de septembre, et qu’il est bien peu probable que quiconque puisse venir en aide à Anna et Henrik alors que la tension monte avec Jacob !

On nous dit qu’il s’agit là du premier livre d’Ulf Kvenster, acteur et homme de télévision suédois fort connu dans son pays, un peu moins chez nous : on a du mal à le croire, tant Sarek trahit une science de la narration éprouvée, qui débouche sur un thriller – largement psychologique, et c’est très bien comme ça pour quiconque est saturé d’histoires usées de serial killers baignant dans le sang – à l’efficacité quasiment déroutante.

Car nous sommes, quasiment tout au long des 500 pages de Sarek, « dans la tête d’Anna », de plus en plus obsédée, angoissée, puis terrifiée par la personnalité abusive et l’identité énigmatique de Jacob : nous vivons ses tourments avec une acuité littéralement douloureuse, et nous sombrons peu à peu avec elle dans un tourbillon de détresse et d’impuissance… dont nous savons déjà qu’il débouchera sur l’horreur, le livre étant un flashback alors qu’Anna a été retrouvée seule dans la montagne, blessée, en état de choc et d’hypothermie avancée. Il devient très vite impossible de refermer Sarek, et pire encore, lorsque nous avons réussi à le faire, il nous obsède : le malaise d’Anna est devenu le nôtre, et il n’existe aucun moyen de le dissiper que d’aller jusqu’au bout, et d’affronter la réalité. Et l’horreur.

Incroyablement puissant, Sarek est aussi un livre intelligent : dans la manière dont il nous fait aller et venir entre les souvenirs d’Anna et son interrogatoire par la police qui essaie de comprendre ce qui s’est passé, mais surtout dont le récit est parsemé de trous de mémoire qui risquent de transformer l’histoire d’Anna en puzzle, voire en piège qui se refermerait sur elle…

N’en disons pas plus, même si Sarek n’est pas – ou du moins pas tout à fait – un véritable thriller, mais plutôt une expérience empathique de partage du trouble, puis de la peur qui peuvent envahir l’esprit de la victime d’un pervers narcissique. On a, par instants, songé à l’expérience similaire qu’avait constitué en 2020 le visionnage de Invisible Man, où Elisabeth Moss affrontait, comme Anna ici, un pervers tout-puissant, bien décidé à l’humilier, la posséder totalement, ou alternativement la détruire.

Vous l’avez compris, la lecture de Sarek est un grand moment, qui risque de marquer l’année 2023, mais elle est sans doute réservée à celles et ceux qui ne craignent pas de s’embarquer dans un voyage sans retour dans l’obscurité glaciale de l’âme humaine.

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