"Misanthrøpe" de Damián Szifron : presque un grand thriller…
Un très petit nombre de thrillers ont marqué de manière – pour le moment – indélébile, mais également universelle le cinéma contemporain : les 3 qui viennent à l’esprit de tout le monde (quels que soient leurs qualités purement cinématographiques…) sont probablement le Silence des Agneaux (1991), Se7en (1995) et The Usual Suspects (1995), tous trois des années 90. Et quelque part, malgré la profusion et la qualité générale de thrillers qui pullulent littéralement parmi les sorties hebdomadaires dans les salles et sur les plateformes, on espère toujours voir LE nouveau film qui viendra challenger ces « classiques ». Eh bien, les premières quarante-cinq minutes de Misanthrøpe nous font croire très fort que, ça y est, on tient la perle rare.
Car cette histoire de tueur de masse – phénomène quasiment uniquement américain, mais jusqu’à quand ? – qui fait un carnage au cours du feu d’artifice de fin d’année à Baltimore, puis disparaît sans laisser aucune trace, et qui sera recherché par un duo d’enquêteurs pour le moins perturbés, coche toutes les bonnes cases : un point de départ original (pas de serial killer traditionnel, ouf !), des personnages intéressants et fortement caractérisés, une mise en scène singulière, originale sans être excessivement maniériste qui nous offre quelques images et quelques instants mémorables… Et puis il y a ce thème sous-terrain qui émerge peu à peu, celui de l’impossibilité grandissante de supporter la pression d’une société toute entière tournée vers la performance, la célébrité et la consommation, qui asphyxie et dévore ses membres avec la même efficacité industrielle qu’elle tue les animaux pour les consommer (à noter la scène remarquable de l’abattoir, mais aussi celle de l’océan de déchets à la lisière de la ville : deux moments essentiels à la compréhension du film, mais aussi deux images inoubliables).
Misanthrøpe est un film réalisé avec passion par des gens passionnés, ce qui se sent à chaque instant : l’excellent réalisateur argentin, Damián Szifron, dont le précédent film, les Nouveaux Sauvages avait déjà été remarqué, mais remonte déjà à près de 10 ans, a aussi écrit le scénario, tandis que Shailene Woodley, qui confirme ici brillamment tout le bien qu’on pensait d’elle, est co-productrice. Il faut ajouter à ce duo, largement responsable de la qualité du film, le nom de Ben Mendelsohn, fascinant dans le rôle de Goeffrey Lammark, l’enquêteur principal du FBI, torturé et obsédé par les jeux politiques autour de lui : parfois à la limite du cabotinage, il est celui qui insuffle le plus d’énergie à un film qui aurait sans doute tendance sinon à être plombé par la gravité de son thème et le profond désespoir de son personnage principal, Eleanor Falco (Woodley), esprit brillant ayant sombré dans l’addiction sous les coups que la vie lui a porté.
Il faut maintenant reconnaître que, malheureusement, Misanthrøpe ne tient pas toutes ses promesses, et revient peu à peu à un format et une histoire plus convenue, ce qui fait que, non, il n’atteint pas le Panthéon du genre. La faute à un scénario qui cesse de surprendre dans sa dernière partie, qui ne trouve pas le moyen de nous surprendre comme nous l’espérions. Et puis, soyons juste, le tueur de masse, pourtant porteur d’un message fort, à la fois touchant et pertinent, s’avère bien en deçà de ce que nous attendions après une première partie de film aussi impressionnante. Même s’il est évidemment difficile à qui que ce soir de rivaliser en termes d’interprétation avec un Anthony Hopkins ou un Kevin Spacey, Misanthrøpe aurait certainement eu besoin d’un acteur plus charismatique pour que les dernières scènes du film soient inoubliables.
En l’état, nous sommes quand même face à un thriller hors du commun, qui a le mérite de ne pas suivre, pendant une bonne partie de ses deux heures, les codes bien usés du genre.
PS : Félicitons, car c’est trop rare pour le passer sous silence, les distributeurs français du film qui ont remplacé le titre original très, très faible (To Catch a Killer, référence absurde au To Catch a Thief d’Hitchcock ?) par Misanthrøpe, beaucoup plus pertinent… même si le « o barré » semble une référence, inutile, elle, au très grand Zodiac de Fincher.