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Le journal de Pok
28 mars 2023

"La Dernière Ville sur Terre" de Thomas Mullen : pandémie, guerre et capitalisme… en 1918 !

La Dernière Ville sur Terre couverture

La Dernière Ville sur Terre n’est pas un ouvrage de Science-Fiction, mais il a pourtant toutes les caractéristiques des meilleurs livres du genre : il nous offre à travers un récit dépaysant, dans une cité imaginaire, une peinture – et une réflexion – pertinente, stimulante de certains des plus grands maux dont nos sociétés souffrent aujourd’hui : la montée en puissance du fascisme dans un contexte de guerre lointaine et menaçante, les tensions et les affrontements sociaux, souvent violent, dans une société au capitalisme non régulé, et la façon dont une pandémie dévastatrice met à jour, en confinant et en isolant les individus, le pire de l’âme humaine. Le fait que la Dernière Ville sur Terre ait été écrit en 2006, donc bien avant le Covid et l’Ukraine, est clairement à mettre au crédit des qualités visionnaires de son auteur américain Thomas Mullen, encore peu connu chez nous, malgré la renommée aux US de sa trilogie Darktown… Et nous rappelle que le rôle de la meilleure littérature, de SF mais pas que, bien entendu, celle qui prend le monde à bras le corps, est bel et bien de prévenir plus que de guérir.

La Dernière Ville sur Terre a été réédité dans une collection, Rivages Noir, plutôt dédiée aux thrillers et aux romans policiers, ce qui peut lui apporter des lecteurs goûtant ce genre de littérature, qui risquent toutefois d’être déçus et par l’absence d’énigme à résoudre et par le peu de violence ou même de tension typique du genre, au long de ses 560 pages… Mais ce qui pourrait priver le livre d’une reconnaissance plus universelle, qu’il mérite à notre avis.

On est en 1918, dans une petite ville nommée Commonwealth (« le bien commun »), dédiée à la coupe forestière et à la fabrication de bois de construction, et née dans l’Etat de Washington, dans l’extrême Nord-Ouest des USA, du rêve utopique d’un couple, Charles et Rebecca Worthy, qui souhaitaient prouver qu’il était possible de créer une industrie ne respectant pas les règles en train de s’établir du capitalisme sauvage. Une utopie « socialiste », pas tout-à-fait collectiviste, mais visant au moins à une meilleure répartition des richesses dans la société. Mais ce rêve va être ébranlé, et peut-être irrémédiablement compromis par la propagation de la grippe espagnole (qui fit, rappelons-le, entre 20 et 100 Millions de morts entre 1918 et 1919 !), forçant la ville à un strict confinement, mais également par la haine des miliciens d’extrême-droite de la grande ville voisine, armés par les puissants propriétaires d’une scierie concurrente.

Le récit est – assez relativement quand même – centré sur le personnage de Philip, fils adoptif de Charles, qui va se voir forcé de faire des choix déchirants quand il est envoyé avec son ami Graham garder la route d’accès à Commonwealth confinée, pour empêcher l’entrée d’étrangers pouvant apporter la pandémie en ville. Mais le plus saisissant et ce qui marquera, sans doute inévitablement, le lecteur est la description de la propagation de la grippe espagnole et de ses effets effroyables sur ses victimes. Pour le reste, la Dernière Ville sur Terre est un livre psychologiquement très complexe, construit en un crescendo régulier débouchant sur un dernier tiers haletant (c’est peut-être là l’aspect « thriller » du livre ?), qui prend le temps de nous faire connaître et même aimer une multitude de personnages finalement assez exotiques pour nous. On mesure la distance qui nous sépare désormais de ce petit peuple souffrant et luttant dans une Amérique naissante et brutale, mais évidemment aussi combien, malgré le siècle qui s’est écoulé, leurs préoccupations sont proches des nôtres. Quant au contexte historique lui-même, assez peu connu comme le pointe Mullen dans son excellente postface, il est passionnant.

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