"Empire of Light" de Sam Mendes : Entre somnolence et dégoût
Il faudra bien un jour que quelqu’un ait le courage d’écrire que, contrairement à ce que pense un grand public aisément séduit par une forme ultra-léchée, comme dans le redoutable et déjà assez pitoyable 1917, Sam Mendes est un réalisateur négligeable, voire même mauvais (allez, on sauvera les Noces Rebelles, porté par deux interprètes exceptionnels et entre lesquels l’alchimie était telle que l’échec était impossible…). Peut-être que ce sera la catastrophe industrielle de cet Empire of Light littéralement consternant qui permettra de mieux juger de l’un des réalisateurs les plus surévalués de sa génération.
Mais que nous raconte Empire or Light ? On a envie de répondre « rien » tant on sort du film consterné par sa vacuité. On peut aussi dire « trop de choses », tant les sujets, abandonnés aussitôt qu’effleurés, abondent. Pour simplifier, le scénario de Mendes décrit l’existence d’une équipe gérant un cinéma qui a été prestigieux mais est sérieusement décati, l’Empire, situé dans une de ces villes « touristiques » déprimantes de la côte anglaise, où s’affrontaient dans les années 60 et 70 mods et skinheads, et sur lesquelles Morrissey a un jour appelé une pluie d'ogives nucléaires. On est en 1981, sous le règne de Thatcher, au moment où le National Front prend de l’importance, et où la résistance des jeunes s’organisera – au moins à Londres – autour des mouvements punk et ska. Empire of Light se concentre sur deux personnes : Hilary, la petite cinquantaine, une femme bien abimée par la vie qui est la gérante opérationnelle de l’Empire, et Stephen, jeune homme de couleur brillant et sexy, qui vient de rejoindre l’équipe. Une histoire d’amour va naître entre eux, avec des conséquences – ou pas, en fait – dans le contexte délétère de l’époque.
Evacuons tout d’abord la performance – comme toujours remarquable – d’Olivia Colman, sans aucun doute l’une des toutes meilleures actrices de notre époque : elle sait être tour à tour touchante, drôle, effrayante, en en faisant toujours le strict minimum nécessaire. Elle serait géniale même en lisant une table des horaires de circulation des métros londoniens, aucun doute là-dessus. Le problème est que le script de Mendes – qui a écrit à lui tout seul le – hum – scénario du film -, est encore moins passionnant qu’une table des horaires de circulation des métros londoniens ! Ce qui fait que la plupart du temps, on se demandera pourquoi les protagonistes font et disent les choses qu’ils font et disent. Le personnage de Stephen, qui devrait être LE centre du film, est purement incompréhensible, sans que cette opacité soit fascinante : non, elle ne fait que traduire l’indécision de Mendes qui a sans doute voulu miser sur le potentiel commercial de Colman plutôt que sur un débutant comme Micheal Ward.
Sinon, les amoureux de belles images défendront aussi le très joli travail à la photo du vétéran Roger Deakins, qui arrive à rendre Margate sublime. Et ceux qui ont eu la chance de vivre la période Ska / Two Tone écraseront une larme nostalgique en réécoutant The Specials ou The Beat.
Pour le reste, il n’y a rien à sauver des deux heures qui en paraissent trois et demi de Empire of Light. Des banalités niaises sur la vie, l’amour, la famille à la pelle, comme si le scénario et les dialogues avaient été écrits par un ado pour une série Netflix… Des prises de position contre le harassement sexuel au travail (premier « grand sujet » du film), contre le racisme (second « grand sujet »), contre le traitement inhumain des personnes souffrant de désordres mentaux (troisième « grand sujet »), contre les préjugés sociaux et relatifs à la sexualité et à l’âge (quatrième « grand sujet »). Tout ça, c’est très mal, nous assène courageusement Sam Mendes, qui doit être persuadé de faire du cinéma humaniste et politique ! Et par là-dessus, une BO épouvantable au piano, envahissante et étouffante, pourtant signée Trent Reznor et Atticus Ross…
Mais la goutte qui fait littéralement déborder le vase, c’est cette scène de la séance de projection du génial Being There de Hal Ashby, où Hilary, qui n’a apparemment jamais vu un film de sa vie, vivant comme elle le fait dans une sorte de grotte où elle passe son temps à écouter des chansons déprimantes de Bob Dylan, réalise que le cinéma, c’est tellement beau que ça rachète une existence de m… avec ses skinheads racistes, ses patrons abusifs, ses psychiatres usant de chimie pour calmer les angoisses. Et Mendes, toujours plus racoleur, complète le tout de photographies de stars et d’artistes du cinéma d’antan, histoire de bien communiquer au cinéphile égaré devant Empire of Light, qu’il fait bien partie, lui, Sam Mendes, de la plus noble famille du 7è Art.
C’est bien simple, si on n’était pas déjà profondément endormi par tout ce qui a précédé, on aurait envie de vomir.