"Principia" de En Attendant Ana : une merveille d’indie pop cuivrée
Les Inrocks aiment En Attendant Ana, mais ce serait injuste de retenir ça contre le groupe parisien ! Car si En Attendant Ana semblent à première écoute jouer de l’indie pop à la manière des années 80, avec guitares qui carillonnent et voix féminine éthérée, ne les prenons surtout pas pour des nostalgiques d’une époque meilleure, incapables de renouveler un genre usé…
Car ce qu’on entend sur ce Principia (rappelons que « principio », en espagnol, signifie « début »), c’est une musique bien ancrée dans notre réalité de 2023, capable d’embarquer aussi les jeunes générations qui trouveront dans cette légèreté – largement trompeuse – un refuge accueillant à leur mélancolie face à une époque encore moins drôle que celle de leurs ainés… Car ce troisième album est peut-être, non, pardon, est certainement leur meilleur, grâce en particulier à l’importance des cuivres…
Sans faire du féminisme à outrance, il faut bien reconnaître que En Attendant Ana tranche avec le tout-venant du rock indépendant grâce aux talents de ses deux éléments féminins, Margaux Bouchaudon – effectivement leader du groupe, puisque non seulement elle en est la voix, mais elle en est aussi la principale compositrice – et Camille Fréchoux, à l’origine de ces cuivres superbes qui emmènent vraiment la musique du groupe… ailleurs. Les garçons, responsables du son ultra-précis, très efficace de l’album, nous en voudrons certainement, mais nous avons vraiment un faible pour Margaux et Camille, par ailleurs membres de l’un des autres combos parisiens les plus excitants du moment, EggS…
On démarre de manière presque « pépère » avec le titre éponyme, Principia, qui se déploie sur un terrain connu, à même de séduire les nostalgiques de groupes comme The Sundays. Heureusement, ce classicisme s’avérera vite trompeur, et dès le titre suivant, Ada, Mary, Diane, la manière dont la basse rebondit et dont le saxo s’invite impunément au milieu de la chanson, on sent qu’on tient là quelque chose d’original. De fort… Black Morning est parfaitement lumineux, même si la trompette introduit une jolie perspective douce-amère. To The Crush bénéficie d’un chant particulièrement inspiré de Margaux, décidément en pleine possession de ses moyens.
L’enchainement de Same Old Story – avec son texte bilingue, et sa mélodie accrocheuse que l’on retient dès la première écoute, son saxo exalté – et Wonder – le titre le plus ambitieux et pas seulement parce que c’est le plus long, mais parce que son crescendo est irrésistible -, certainement les deux meilleurs morceaux de l’album, constitue indiscutablement le sommet de Principia…
Fools and Kings est l’un des titres les plus romantiques, les plus posés aussi de Principia, et remplira le cœur des plus exigeants, grâce à une mélodie réussie et surtout à la trompette impériale de Camille. The Cutoff accélère le rythme sur un fond d’électronique très vintage, et enchantera ceux attendent de sautiller sur place en laissant la joie les envahir. Anita, un ton dessous malgré sa basse énergique, repose surtout sur les interventions du saxo. The Fears, The Urge boucle l’album par un retour vers l’introspection, porté à nouveau par une belle trompette qui nous laisse rêveurs.
Il faut souligner, et ce n’est pas toujours le cas dans la production française « indépendante » manquant souvent de moyens, la production à la fois sophistiquée et pertinente de Margaux et Vincent Hivert, désormais bassiste du groupe. Bref, à moins de déplorer une pochette peu engageante – à notre goût – dont on a du mal à saisir la raison, on a affaire ici à un sans-faute…
… Et à ce qui restera probablement l’un des grands albums français de 2023.