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Le journal de Pok
26 février 2023

"The Fabelmans" de Steven Spielberg : deux heures et demie d'intelligence pure...

The Fabelmans affiche

On allait voir The Fabelmans avec pas mal de craintes : Spielberg, approchant pour la première fois l'exercice périlleux de l'autobiographie, ne risquait-il pas de tomber dans l'un de ses fréquents excès de sentimentalisme ? Cet nième retour vers l’enfance, l’un de ses sujets les plus habituels, n’allait-il pas s’enliser dans une nostalgie morbide pour une ère disparue où le cinéma était LA forme d’Art populaire incontournable ?

La bonne, l'excellente surprise, même si cela vaut au film pas mal de critiques négatives, c'est que The Fabelmans est une œuvre excessivement théorique, qui n'intéressera donc à priori que les vrais passionnés de cinéma, et surprendra par sa relative sobriété ceux qui s'attendait à voir Spielberg déployer les fastes habituels de sa mise en scène et son sens bien connu du spectacle.

D'une part, en se basant sur son expérience personnelle dans une famille déséquilibrée, puis déchirée, Spielberg théorise la capacité de créer des formes d'art majeures comme la recherche impossible, mais féconde, d’un équilibre (justement…), instable et douloureux, entre folie et goût pour le danger (hérité de sa mère fantasque et passionnée, magnifiquement incarnée par Michelle Williams) et efficacité hyper rationnelle (à l'image de son père, ingénieur informaticien génial, bien campé par un Paul Dano qui porte toujours au revers de sa veste sa belle fragilité)… Tout en reconnaissant l'héritage juif (avec un beau personnage de la grand-mère juive traditionnelle) qui lui aura fait expérimenter la souffrance du rejet (lors de scènes un tantinet convenue d'antisémitisme violent au "college"), mais aussi la chaleur d’une famille unie, tout au moins jusqu’à ce fameux divorce qui causera une blessure terrible au jeune Spielberg.

Même si ce n’est pas directement le propos de Spielberg, on pourra s’émerveiller aussi de voir comment se construisait et s’épanouissait – non sans conflits, il n’y a pas d’angélisme ici – la relation parents/enfants à une époque (la fin des années 50, le début des années 60) où la transmission de valeurs – ici la curiosité, l’esprit d’entreprendre – et de connaissances – avec la remarquable attitude pédagogique du père cherchant toujours à expliquer comment les choses « marchent » à ses enfants – étaient clairement vues comme le fondement de la famille.

Encore plus intéressante néanmoins est la trajectoire "formelle" du cinéaste en herbe : à cause d'un traumatisme (plutôt positif d’ailleurs, l’émerveillement et la peur étant intimement mêlés) lors de sa première séance de cinéma, où il assistera à la mise en scène d’une catastrophe ferroviaire dans Sous le Plus Grand Chapiteau du Monde de Cecil B. DeMille, la passion du jeune Sammy Fabelman se concentrera d’abord sur la création, avec des effets spéciaux rudimentaires, de grands spectacles. Avant de comprendre que le pouvoir du cinéma transcende le simple divertissement, et qu’il peut révéler des vérités que l’œil ne perçoit pas sans l’aide du montage et de la mise en scène… Et que ce miracle-là fait courir au réalisateur le risque de devenir un pur manipulateur, comme le montre la scène remarquable de la projection du film de plage à l’université, avec un jeu formidablement intelligent entre les regards des spectateurs et le regard du cinéaste / projectionniste : il s’agit là d’un moment extraordinaire, où la démarche théorique du réalisateur réfléchissant sur le pouvoir de son art et sa capacité à influencer la vie s’appuie sur la virtuosité acquise avec la pratique… et sans doute l’un des plus grands moments de toute la filmographie de Spielberg.

En ce qui concerne le pur plaisir du spectateur, il faut évidemment mentionner deux scènes-clé, qui font référence à deux éléments fondamentaux de l’apprentissage du jeune réalisateur, et on l’imagine de Spielberg lui-même. D’abord le discours inspirant de l’oncle Boris (Judd Hirsch, saisissant) sur la nécessité de l’Art, et ensuite la rencontre avec John Ford (joué par un David Lynch qui a vraiment l’air de s’amuser) qui déploie sa théorie sur la position de l’horizon dans l’image, mais parle surtout du regard du cinéaste et de sa caméra.

Bref, The Fabelmans, ce n’est sans doute pas le « grand film » (un concept finalement ridicule) que le public attendait, mais c’est deux heures et demie d’intelligence pure en action. Un plaisir rare.

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