"Lockwood & Co" de Joe Cornish : le naufrage de la fiction « Young Adults »
Quand Harry Potter explosa au sommet des ventes mondiales, nombreux furent ceux qui célébrèrent la naissance – alors que le genre avait bien entendu toujours existé – de ce que l’on allait très appeler vite la littérature fantastique pour « Jeunes adultes » (« Young Adult Fantasy »), qui allait sauver le livre en transformant des millions d’adolescents en lecteur assoiffés. Hormis le fait que la franchise Harry Potter se transforma très vite en produit hollywoodien standard, il faut bien admettre que la majorité des « œuvres littéraires » qui foisonnent depuis ne valent pas tripette, et qu’il reste encore à prouver que leurs lecteurs seront ensuite gagnés par les charmes de Proust ou d’Albert Camus, ou au moins d’Edgar Allan Poe et de Lovecraft.
On sait aussi que Netflix, avide de formules marketing toutes faite qui permettent de recruter les adolescents par millions, a fait de la fiction « YA », surtout lorsqu’elle braconne sur les terres du fantastique et de la science-fiction, le fer de lance de sa stratégie, espérant réussir au niveau de la plateforme le hold-up des Hunger Games. Pas de surprise à voir adaptés cette fois les bouquins – que nous n’avons pas lus, avouons-le, mais nous serons facilement pardonnés – de la série Lockwood & Co, de l’auteur britannique Jonathan Stroud. Très peu de surprise non plus quand nous découvrons, au fil de 8 épisodes d’un ennui incommensurable, que le résultat est une véritable purge. Oui, même si les téléspectateurs US semblent ravis, même si les quinquagénaires nostalgiques clament qu’il s’agit là d’une résurrection de leurs très chers Ghostbusters (qui ne volaient pas bien haut non plus, il faut le rappeler !), Lockwood & Co est une catastrophe.
Le point de départ peut paraître prometteur : voici donc un (autre) univers dystopique où un « Problème » mystérieux a ramené tous les fantômes « à la vie », et leur permet de massacrer à volonté les vivants, ou au moins de les plonger dans une catalepsie profonde. Seuls les enfants ont la capacité de voir, d’entendre et donc de lutter contre ces fantômes, et ils sont donc « exploités » par les adultes au sein d’organisations para-policières ou de sociétés privées qui vivent de leurs talents. Il est intéressant de souligner que le développement de la technologie a subi un violent coup d’arrêt, du coup, et que le monde de Lockwood & Co semble s’être arrêté en 1970, ce qui lui confère un charme suranné à peu de frais. La série suit les aventures d’un trio regroupé sous le nom de l’agence Lockwood, qui passe la plupart de son temps à avoir des états d’âme stéréotypés d’adolescents tout en courant sans aucune idée de ce qu’ils font après des artefacts plus ou moins magiques.
On a confié la responsabilité de ce gloubi-boulga sans queue ni tête à un scénariste anglais, vague tâcheron hollywoodien qui s’est tristement illustré chez Marvel (Joe Cornish), et qui a eu, quand même deux bonnes idées : d’abord, résumer « le problème » à travers le générique (qu’il convient donc de regarder attentivement), ce qui évite bien des explications fastidieuses par la suite ; ensuite, embaucher les jeunes Ruby Stokes (vue, ou pas, dans Bridgeton) et Cameron Chapman (débutant !) qui sont la SEULE vraie bonne raison de perdre plus de six heures de sa vie devant Lockwood & Co. Ils ont tous deux un talent époustouflant, doublé d’un charisme surprenant, et il y a entre eux une belle alchimie qui rendrait presque regardables les scènes habituelles de tourments adolescents et d’hésitations amoureuses.
Sinon, soyons clairs, il n’y a rien à sauver dans cette série, une fois passé un premier épisode correct qui met en place les éléments de l’histoire. L’adaptation par les scénaristes des deux premiers livres de Stroud, l’Escalier Hurleur et le Crâne qui Murmure, donne lieu à une succession d’événements incohérents traversés par des protagonistes qui font réellement n’importe quoi : impossible de dire sans avoir lu les livres – ce que nous ne ferons certainement pas – si le manque de logique complet des situations, de l’action et du comportement des personnages est déjà là à l’origine, ou s’il est dû à l’incompétence de l’équipe scénaristique de la série, mais le résultat – affligeant – est là. Les effets spéciaux sont médiocres, et rien n’est drôle ni effrayant. Les adultes sont tous des manipulateurs horribles ou des psychopathes, tandis que tous les adolescents sont des « bons », oui, même l’équipe rivale de notre trio, avec laquelle on se réconciliera et s’alliera à la fin (pardon pour le spoiler). On peut à la limite, avec beaucoup de générosité, imaginer qu’il y a derrière un message sur l’exploitation des enfants par les adultes dans le monde capitaliste, mais c’est quand même pousser le bouchon un peu loin.
Il reste encore deux livres de Stroud à adapter, et, vu le ravissement exprimé par une multitude de téléspectateurs, il est à craindre que nous ne puissions échapper à une seconde saison.