'Gigi's Revovery" de The Murder Capital : le chemin de l’ombre à la lumière
En 2019, notre année Rock fut marquée par une double découverte : Fontaines DC et The Murder Capital, deux groupes étiquetés, comme une bonne partie des nouveaux groupes récemment apparus un peu partout dans le monde, comme Post-Punk, mais surtout venant tous deux de Dublin. En 2023, on sait combien les Fontaines DC ont grandi et mûri, et comment ils se sont imposés comme le fer de la lance du Rock contemporain, en se défaisant peu à peu de leur héritage des années 70-80 et en allant chercher d’autres manières d’exprimer leurs émotions et leurs convictions… Et The Murder Capital ? Eh bien, rien de vraiment notable depuis leur premier effort, When I Have Fears, à haut contenu dramatique mais vraiment trop inféodé aux codes stylistiques créés par Joy Division …
… Jusqu’à ce la parution de ce Gigi’s Recovery, un second album emballé dans une pochette étonnamment colorée, premier signe annonciateur d’une rupture avec les codes éternels du post punk, ce noir et blanc austère parfait pour accompagner des voix lugubres, des rythmiques martiales et des guitares grinçantes. Cette rupture n’est toutefois pas brutale, pas soudaine, mais est présentée par le disque comme un cheminement vers la lumière, de l’intro atmosphérique mais accablante de Existence jusqu’à la conclusion quasiment acoustique et plus apaisée de Exist, en passant par un Return My Head colérique qui évoquera encore un peu les débuts du groupe. Mais il est clair que, à part peut-être sur ce titre, The Murder Capital n’ont désormais plus grand-chose à voir avec le Post-punk…
Car si Gigi’s Recovery, avec ses douze morceaux, a pris deux ans et demi pour se faire, c’est bien que le groupe a longtemps cherché… et fin par trouver quelque chose d’autre que la proposition un peu standard d’un album de rock de 2023 : dans ce qui a parfois des allures de concept album, il s’agit de transmettre une vision – toujours pas très positive, certes – du monde, des choses, des êtres humains. Peu, voire pas de mélodies auxquelles se raccrocher – même si de jolies idées naissent par ci par là, sans jamais complétement se matérialiser. Un son bien spécifique, très similaire à celui du groupe sur scène, ce qui est un vrai plus, tant on sait combien The Murder Capital ont un impact fort en live. Et la voix de James McGovern très en avant, ce qui place une emphase particulière sur les textes. Il faut souligner que le chant pourra être l’un des points de désaccord quant à la qualité ou non de l’album, tant sur certains morceaux son baryton est efficace (pas si loin d’Iggy Pop parfois) alors que sur d’autres, McGovern prend beaucoup de risques, force un chant pas vraiment maîtrisé, et se plante.
Mais cette « approche musicale différente » sera certainement plus clivante : on est prêt à parier qu’une bonne partie des fans de la première heure lâcheront la rampe devant un virage aussi raide ? On espère que le groupe gagnera de nouveaux suiveurs, fascinés par sa capacité à véhiculer et de la tension, et des émotions paroxystiques sans suivre les règles bien établies du Rock ou de la chanson. Tout cela fait que Gigi’s Recovery demande une attention complète de l’auditeur, et même quatre à cinq écoutes répétées pour se révéler pleinement, pour dépasser une apparence initiale de manque de structure et d’inspiration limitée. Ce qui impressionne rapidement, néanmoins, c’est la capacité du groupe à faire monter la pression (Ethel, bouleversant, Gigi’s Recovery) pour atteindre ce que l’on ne peut guère qualifier que de moments orgasmiques !
On remarquera que l’un des titres le plus accrocheurs, peut-être l’un des plus différents de ce que Murder Capital était avant, est The Stars Will Leave Their Stage : sur un rythme de piano quasi primitif, voilà que McGovern se laisse aller à un romantisme sombre (« Just like ships in the night / promising to collide » (Tout comme des navires dans la nuit / promis à la collision). Il y a quelque chose des Stranglers dans la mélodie, la voix et la détermination avec laquelle cette sourde menace est affrontée.
On a déjà évoqué un trajet de l’obscurité à la lumière comme une définition possible de ce disque, mais ce parcours, tout en hauts et en bas, n’a rien de linéaire. Si Return My Head explique la nécessité vitale d’un changement (« I had to realign, to begin, to survive / I gaze to the satellites, no spare change in promise » – J’ai dû me réaligner, commencer, survivre / Je regarde les satellites, pas de promesse de petite monnaie), A Thousand Lives ne cache pas que l’Amour n’a rien d’évident (« I’d like to remind you of this / Beside you I die to exist / A thousand lives with you and I won’t be enough » – Je voudrais te le rappeler / A côté de toi je meurs pour exister / Mille vies avec toi et je ne suffirai pas). Et Only Good Things, peut-être la seule vraie chanson de tout l’album, avec une mélodie et un texte réellement chanté, est un aveu d’impuissance : « Show me to think only good things, only good things / How beautiful, how beautiful » (Montre-moi comment ne penser qu’à de bonnes choses, qu’à de bonnes choses / Comme c’est beau, comme c’est beau !). Il faut l’aide de l’autre, de l’être aimé, pour atteindre la lumière.
Il est difficile de prévoir quelle sera la réception de cet album, même s’il est presque certain que les outsiders de Dublin ne combleront pas leur écart avec Fontaines DC, cette fois-ci. Par contre, on se réjouit déjà à l’idée de voir joués sur scène ces titres flamboyants.