"Alice in Borderland" de Shinsuke Sato : guerre aux figures !
Pour notre Noël 2020, Netflix avait déposé devant le sapin un beau cadeau : Alice in Borderland, l’adaptation réussie en série TV du manga d’Haro Asō. Dépassant aisément les clichés auxquels il était a priori facile de la réduire (Battle Royale, le Roi des Mouches, Saw, ce genre de comparaisons paresseuses qui sont venues à l’esprit de critiques visiblement peu familiers ou mal à l’aise avec l’univers du shōnen), Alice in Borderland trouvait le juste équilibre entre SF conceptuelle, défis intellectuels et psychologie ado. Et puis la vision d’un Tokyo déserté de ces habitants – et en particulier le carrefour de Shibuya – s’était définitivement inscrite dans notre mémoire comme une nouvelle image parfaitement symbolique du grand cinéma de Science-Fiction…
Il nous aura fallu attendre deux ans, qui ont d’ailleurs permis à Squid Game de rafler la mise globalement sur un sujet similaire, pour découvrir la suite – et la fin (?) – des aventures d’Arisu (Alice) et ses amis et ennemis dans un pays qui n’a rien de merveilleux, puisqu’il s’agit pour ceux qui y ont été exilés de manière incompréhensible de survivre en participant, et en triomphant, dans des jeux particulièrement sadiques. Avec, pour horizon, l’espoir qu’une fois toutes les cartes collectées – chaque jeu étant représenté par une des 52 cartes d’un jeu -, il leur serait possible de retourner dans « leur monde ». La première saison déroulant les cartes de l’As au 10, voici cette fois le tour des « figures », avec un twist de taille : cette fois, les gamers affrontent les « citoyens » de ce monde parallèle, c’est-à-dire d’ancien gamers comme eux, passés à l’ennemi (de l’autre côté du miroir ?).
Sur un mode identique à la première saison, et donc sans réelle surprise, mais avec des niveaux de violence et d’intensité accrus (comme tout ce qui concerne la confrontation armée avec le Roi de Pique), la seconde saison de Alice in Borderland nous raconte comment Arisu et sa petite bande vont affronter divers Rois, Reines et Valets pour tenter de trouver une issue à ce labyrinthe de plus en plus en foisonnant qu’est l’univers dans lequel ils ont été mystérieusement transportés : entre la végétation luxuriante qui semble envahir d’un coup Tokyo et les parcs de la ville qui se transforment en immenses forêts entourés de montagnes gigantesques, il est difficile pour le spectateur de ne pas perdre ses repères… et de ne pas juger que la série perd du coup de sa crédibilité (un drôle de mot si on l’applique à une histoire de SF, mais bon…).
Heureusement, les idées des différents jeux (certains tellement complexes qu’on doit quand même – un peu comme chez Nolan ! – attendre des personnages qu’ils nous expliquent leurs déductions et la logique de leur approche face aux défis posés) sont suffisamment passionnantes, et la réalisation de Shinsuke Sato suffisamment efficace, voire brillante, pour qu’on passe sur ce qui ressemble, au moins un temps, à des invraisemblances.
Le second aspect frappant de la série, ce sont évidemment les longs – trop longs parfois ? – dialogues introspectifs entre les personnages qui, plus encore que dans la première saison, vont se poser des questions existentielles, certaines classiques de l’adolescence (« Qui pourrait m’aimer ? », par exemple), d’autres plus intéressantes, comme celles qui adressent les rapports entre morale, éthique, pouvoir et politique : l’un des meilleurs épisodes de la saison se penche sur le passé de Chishiya (le toujours fascinant Chat du Cheshire) et raconte son face-à-face avec un ex-avocat d’affaire devenu citoyen. Il faut bien reconnaître que la série ne vise pas toujours très juste dans ces passages qui hésitent entre un public ado et un autre plus mature. Il reste que tout cela trouvera largement sa justification dans le dernier épisode, particulièrement passionnant.
Car il importait de ne pas rater ce dernier épisode (même si le manga fournissait une base solide qui évitait les conclusions lâches, voire pitoyables, « à la Lindelof ») qui devait justifier et expliquer les 15 précédents : mission accomplie, et avec brio même, puisque l’on s’amusera ici à évoquer une à une toutes les hypothèses qui ont pu germer dans la tête des téléspectateurs, pour déboucher sur une solution « réaliste » convaincante. Avant de basculer, dans un joli aller-retour conceptuel, vers une conclusion où le fantastique, voire la « magie cinématographique », fait son éternel retour. C’est profondément satisfaisant, et le téléspectateur ressentira l’impression paradoxale d’une sorte de récompense – comme s’il avait lui-même triomphé des épreuves – mêlée à une renaissance à l’indéniable caractère « feelgood ».
Jusqu’à un dernier plan, malin, saisissant, petit clin d’œil plutôt que twist : enfin, on l’espère, et on ne voudrait pas voir une troisième saison apparaître après une fin aussi satisfaisante.