"Larmes et Brouillard (Donjon Zénith niveau 8)" de Sfar / Trondheim / Boulet : le Zénith au zénith…
Deux ans, bon dieu, deux ans… qu’il nous a fallu attendre entre le tome 8 de la branche principale du Donjon, Donjon Zénith, qui nous avait un peu frustrés en négligeant de traiter les vrais sujets de la série, et ce neuvième tome, qui s’avère un ENORME plaisir.
Larmes et Brouillard, avec sa référence osée au film de Resnais (ou bien c’est nous qui délirons ?), et sa couverture majestueuse, est un gros, gros morceau, qui tranche assez violemment avec les tonalités légères d’une bonne partie de la production récente de MM. Trondheim et Sfar : tout en recentrant l’histoire sur le cœur du sujet, c’est-à-dire les tentatives du Gardien pour reconquérir son Donjon, Larmes et Brouillard se concentre sur la vie conjugale d’Herbert, qui va être papa… ce qui va déboucher sur plusieurs scènes à haute teneur dramatique, voire tragique. Sfar – on supposera que c’est lui qui oriente le livre dans cette direction, cohérente avec ses préoccupations politiques et religieuses – nous livre une condamnation inhabituellement violente (pour la série) de l’obéissance aveugle aux coutumes ancestrales, aussi stupides et rétrogrades soient-elles : les intégristes religieux de tous poils en prennent pour leur grade, tant en termes de conséquences – inhumaines – de leur adhésion à des rituels dont ils affirment qu’ils sont indissociables de « l’identité nationale », que de dénonciation de leur hypocrisie. Le choc que Sfar et Trondheim nous réservent aux trois quarts du livre, asséné avec une pudeur qui en décuple l’impact, restera sans nul doute dans la mémoire de tous les lecteurs de la série.
Mais comme rien n’est simple dans l’univers du Donjon, Larmes et Brouillard ne fait pas que nous briser le cœur et nous mettre les larmes aux yeux (ah, cette dernière scène, tellement cinématographique, tellement parfaite du couple dévasté par le drame qui s’est noué), il nous fait aussi beaucoup… rire. Grâce à cet habituel humour absurde qu’on adore, on oublie de temps en temps la tragédie qui se noue… et ce d’autant que nos scénaristes, décidément en pleine forme, raccrochent parfaitement ici l’histoire du Coffre aux Âmes au tronc du Donjon. On pourra tiquer sur l’ellipse étonnante qui suit l’ouverture du coffre, mais, connaissant nos lascars, on imagine qu’un autre tome viendra à un moment ou à un autre combler cette lacune.
Pour finir, il n’y a guère que des compliments à faire au travail graphique de Boulet, qui atteint ici des sommets d’inspiration et de maîtrise. Grâce à une mise en page dynamique, toujours pertinente par rapport au scénario, et à la beauté de nombre de scènes, Boulet s’impose in fine comme le meilleur dessinateur de toute la saga, celui qui permet de transcender les éventuelles faiblesses (même si, ici, il y en a peu…) du travail scénaristique de Sfar et Trondheim. Et place cet album très haut dans le top des meilleurs volumes de la série.