"Le Cabinet de Curiosités" de Guillermo del Toro : une collection de semi-ratages
Malgré la sympathie que son approche passionnée du cinéma de genre (fantastique, horreur, science-fiction, etc.) nous inspire, il faut bien reconnaître que le cinéma de Guillermo del Toro nous laisse quasi systématiquement sur notre faim. Souvent excessivement formaliste (on n’est parfois pas si loin d’un cinéma à la Jean-Pierre Jeunet), ne craignant pas occasionnellement de jouer sur des clichés faciles, del Toro n’a pas sorti un grand film depuis des années (depuis le Labyrinthe du Faune ?), mais semble rencontrer systématiquement les faveurs d’une critique complaisante, ainsi que d’un public appréciant la simplicité (le simplisme ?) de son discours. Son passage à la série TV sur la plateforme Netflix avait donc de quoi inquiéter, même si l’annonce que del Toro ne réaliserait pas lui-même les 8 épisodes de son Cabinet de Curiosités pouvait laisser espérer l’apparition de « gestes artistiques » moins conventionnels.
Disons-le tout de suite, le Cabinet de Curiosités est globalement une déception, et l’on y retrouve largement les choses que l’on n’aime pas chez del Toro : une prépondérance systématique de l’image soignée et des décors (il faut reconnaître que l’argent investi « est à l’écran »), un goût pour les personnages caricaturaux, et un recours à des conclusions à la morale sans aucune ambigüité.
Ainsi, les deux premiers épisodes, fonctionnant sur une trame similaire, témoignent parfaitement de l’approche de del Toro, qui scénarise tous les épisodes : on nous présente un personnage à la fois minable et mauvais (la racaille raciste qui abuse de la faiblesse de plus pauvres que lui dans Lot 36, le pilleur de tombes sans scrupules de Graveyard Rats) qui sera confronté à des redoutables forces occultes dont il déclenchera la colère du fait de ses mauvaises actions (un démon invoqué à l’aide d’un livre précieux qu’il convoite, ou une entité maléfique entourée de rats vivant sous les tombes qu’il dépouille), et qui sera puni par là où il aura péché. C’est certes efficace – Tim Blake Nelson fait d’ailleurs un travail spectaculaire dans Lot 36 !-, mais c’est quand même un peu court…
Le troisième épisode, Autopsy, s’avère, et de loin, le meilleur de la série : il s’appuie sur un scénario beaucoup plus intéressant (un médecin légiste fait face à un envahisseur extraterrestre pour le moins original) et bénéficie du talent du grand F. Murray Abraham. Si ce n’était quelques raccourcis improbables dans le récit – qui nous font penser que le film aurait bénéficié d’être un long-métrage de 90 minutes – et un abus d’images graphiquement atroces, qui se révèlent éprouvantes pour le téléspectateur, on pourrait dire que le final – malin – d’Autopsy en ferait un petit chef d’œuvre de SF horrifique.
Le problème est que, à partir de là, tout le reste de la « collection » s’avère franchement décevante. The Outside part d’un excellent sujet, l’obsession d’une jeune femme complexée par la beauté « extérieure » de ses collègues de travail et décidant de se métamorphoser grâce à une crème aux pouvoirs vantés par une publicité télévisée. Mais les excès parodiques de la mise en scène d’Ana Lily Amirpour (jeune réalisatrice anglaise qui avait fait parler d’elle avec A Girl Walks Home Alone At Night, son premier film, une histoire de vampire en Iran, mais a peu fait d’étincelle depuis…), le jeu grimaçant de Kate Miciccu, et une conclusion manquant de substance font que les promesses du sujet ne sont pas tenues.
Pickman’s Model pourrait être l’une des adaptations les plus intéressantes d’une œuvre de l’inadaptable Lovecraft (oui, avouons que notre niveau d’excitation a monté d’un cran !), en particulier grâce à une « belle » (enfin, on se comprend…) figuration des monstres de l’imaginaire du génie de Providence, et grâce à une ambiance horrifique très réussie… mais nous laisse finalement froids du fait du manque de conviction de Ben Barnes dans le rôle principal, et de la prépondérance glaçante des décors, des costumes, de la reconstitution d’époque. Un peu moins d’attention aux détails et un peu plus de folie auraient clairement amélioré le film de Keith Thomas (The Vigil, Firestarter), même si l’interprétation malsaine de Crispin Glover rattrape toutes les scènes où il apparaît.
Dreams in the Witch House, également basé sur une nouvelle de Lovecraft, est un ratage complet, qu’il convient d’éviter tant rien ne fonctionne, mais c’est The Viewing, de Panos Cosmatos (réalisateur du singulier Mandy, et ici également scénariste) qui, promettant énormément, nous laisse le plus désemparés. Les prémisses sont géniales, avec un filmage sur pellicule, des effets de lumières étonnants, une musique « à la Carpenter » formidable, et un démarrage d’une lenteur incroyablement culotée : cette succession de dialogues littéralement interminables menés par un Peter Weller parfait en répugnant milliardaire reclus : on attend un final formidable, mais, après une belle montée dans l’horreur, tout fait « pschitt… » et se conclut de manière désastreuse.
L’épisode final, The Murmuring, banale histoire de maison hantée, peuplée par les remords et les regrets d’un couple d’ornithologues déchiré par un drame familial, est beaucoup trop « propre sur lui » pour inspirer quoi que ce soit, et Andrew Lincoln confirme bien le piètre acteur qu’il a toujours été dans Walking Dead.
Un bien triste bilan au regard des moyens engagés dans cette anthologie fantastique « de prestige » et un autre demi-ratage dans la carrière décidément bien erratique de Guillermo del Toro. On espère ne jamais voir de seconde saison…