"Sandman : Dream of a Thousand Cats / Calliope" de Neil Gaiman : easter egg parfait
Comme il est de bon ton, ici comme ailleurs, de maudire et de critiquer, voire de mépriser Netflix, sa politique, ses produits, son influence sur le cinéma et sur le public, ayons au moins l’honnêteté de reconnaître quand la plateforme nous épate (comme quand elle produit et diffuse une merveille comme Better Call Saul, mais là n’est pas le sujet). On nous rétorquera qu’il convient plutôt de remercier Neil Gaiman pour l’« easter egg » inattendu que constitue ce double programme d’« entre-saison » de Sandman, et c’est sans doute vrai. D’autant que ceux qui connaissent sur le bout des doigts l’œuvre de Gaiman ne tarissent pas d’éloge sur la qualité de l’adaptation de ces deux « nouvelles » que personne n’avait vu venir, en complément de la série TV… … Deux petits films a priori très dissemblables mais qui, vus successivement, constituent une dénonciation violente de la violence masculine…
Dream of a Thousand Cats est un très joli court-métrage d’animation d’un quart d’heure, qui ravira tous les amoureux des chats, mais qui, au-delà de son charme délicat, se termine sur une idée formidable et terrifiante – que, comme toujours, nous éviterons de spoiler ici… Calliope revient à une forme moins surprenante – filmée donc, cette fois – et relie plus fermement le monde de Sandman à celui de la mythologie grecque en la personne de la muse Calliope, la plus célèbre et la plus puissante des neuf filles de Zeus, qui était donc la muse de la poésie épique (donc, comme il est précisé ici, l’inspiratrice d’Homère). Gaiman, dans une histoire qui fait écho à des préoccupations assez similaires chez Stephen King quant à la source de l’inspiration des écrivains, imagine donc Calliope livrée aux exactions d’hommes sans scrupules convoitant le succès littéraire et ce qui va avec (comme de vendre à prix d’or ses romans à Hollywood pour en faire des blockbusters !).
On appréciera, en termes de respect de la culture grecque, l’utilisation du terme Oneroi (Ὄνειροι) dans l’épisode pour qualifier Morpheus, en effet conforme à la nature mythologique des rêves. Et du coup, devant tant d’érudition, on n’en voudra pas à Gaiman d’avoir substitué Morphée à OEagre, le véritable amant de Calliope et géniteur d’Orphée dans la mythologie : cet arrangement avec les textes anciens lui permet d’intégrer à la saga Sandman ce conte, qui ne manque ni de profondeur ni de pertinence : il se présente clairement comme une représentation de l’utilisation – le viol ? - des femmes dans une société où le pouvoir masculin reste fondé sur la force.
Soutenu par une interprétation subtile du quasi inconnu Arthur Darvill, qui réussit à injecter une vraie humanité dans un personnage a priori haïssable, Calliope est un moyen-métrage parfaitement réussi, qui confirme ce que les épisodes 5 et 6 de la saison 1 de Sandman avaient laissé entendre : c’est quand il digresse et laisse sa série prendre les chemins buissonniers que Neil Gaiman est le meilleur.