Better Call Saul - Saison 6" de Vince Gilligan et Peter Gould : la fin d'une grande série...
La fin d’une grande série, surtout après plusieurs années, est toujours un peu une « grande affaire », et engendre nombre de discussions passionnées entre fans et moins fans. On utilise ici le terme de « grande série » à propos de Better Call Saul, qui n’est pourtant pas, et n’a jamais été, un hit planétaire, dans la mesure où l’ambition narrative et thématique, la perfection formelle (mise en scène, photographie, interprétation) de ce spin off de l’unanimement célébrée Breaking Bad le hisse clairement au-dessus du lot.
Il faut reconnaître que Better Call Saul divise : certains, dont nous sommes, la considère comme égale sinon supérieure à Breaking Bad, en grande partie parce que le personnage de James McGill / Saul est régulièrement bouleversant, et parce que les aspects « psychologiques », humains de la série sont à la fois plus fins et plus forts, moins stéréotypés. De nombreux téléspectateurs trouvent au contraire Better Call Saul moins fascinant, avec une tension moins forte, et probablement plus lent. Et pas suffisamment du côté du « thriller » pour être un grand divertissement.
Et cette sixième et donc dernière saison risque bien de ne rien changer aux opinions des uns et des autres. Les 9 premiers épisodes offrent une conclusion électrisante aux deux fils narratifs principaux (les démêlés de Kim et Saul avec Lalo, et leurs manipulations de la vie professionnelle de Howard), culminant dans un huitième épisode terrible, qui se pose en point de rupture dans la vie de Jimmy / Saul. Si l’on cherche la raison du basculement d’un homme, que l’on a quand même vu comme « honnête » malgré son goût excessif pour les escroqueries et les tours de passe-passe, du « côté obscur », c’est dans cet épisode qu’il se trouve : l’avocat criminel de Walter White naît à ce moment-là, et c’est là que Better Call Saul en arrive à son sommet, justifiant son existence de spin off.
Le problème, c’est évidemment qu’après ça, on a un peu l'impression que Vince Gilligan et Peter Gould ne savent plus quoi faire : peut-être avaient-ils dès le début cette idée-là, et étaient-ils beaucoup moins clairs quant à la suite et la fin de la série ? En tous cas, Better Call Saul passe très rapidement sur la « période Breaking Bad » : quelques scènes, logiques par rapport à la thématique de la saison, qui est celle des "regrets", mais qui paraissent un peu anodines, des caméos de Walter White et de Jesse Pinkman, mais rien en tout cas qui puisse satisfaire les fans hardcore de Breaking Bad...
Pour bien regarder les 4 derniers épisodes – en noir et blanc dans leur plus grande partie, et on apprécie l’ironie avec laquelle le noir et blanc est utilisé pour figurer le présent, à la différence de ce qui se fait communément -, il convient de se livrer à un petit exercice : revoir les premières minutes de chacune des 5 saisons précédentes, qui posent le décor de ce qui va suivre. L’exil de Saul à Omaha, pour échapper à la police et au cartel, l’a transformé en un nouveau personnage, Gene, homme ordinaire vivant dans la solitude, manager professionnel d’un fast food, qui cherche avant tout à ne pas attirer l’attention, et la dernière partie du film va raconter l’enchaînement de circonstances, de coups de malchance, qui vont faire réapparaître Saul, puis James McGill.
Ce qui nous amène au dernier épisode, qui est intéressant car il matérialise (enfin ?) le retour de Saul Goodman derrière Gene, puis, dans sa toute dernière partie, la réapparition de Jim McGill. Cette fin, inattendue, a été bien reçue par les critiques, parce qu’elle échappe aux stéréotypes d’une série-thriller. Mais, si l’on rapproche ce que nous disent Gould et Gilligan du fait que, aux USA, cette conclusion a recueilli tous les suffrages, on peut la lire comme une concession à la morale… Et déplorer ce revirement final, pas très convaincant psychologiquement, et qui sent donc le retour à une certaine morale pour une série qui avait su raconter des comportements « déviants » sans porter aucun jugement sur ses personnages.
On préférera donc plutôt voir cette fin comme la conclusion d’une grande histoire d’amour entre Kim et Jimmy, souvent cachée derrière le récit des arnaques et des péripéties policières. Et ainsi garder à l’esprit l’image de ce couple dont l’amour a été dévoré, mais résiste encore.