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Le journal de Pok
25 août 2022

"Sandman - Saison 1" de Neil Gaiman : ce dont les rêves sont faits...

The Sandman affiche

En partant du postulat que l’adaptation d’une œuvre littéraire aussi gigantesque, aussi unanimement célébrée de la « culture pop » que le Sandman de Neil Gaiman est « impossible », écrire une critique objective de la série TV qui en a résulté relève également d’un défi absurde. Heureusement, la participation de Gaiman lui-même au développement de The Sandman, avec l’aide de producteurs-scénaristes aussi expérimentés que David S. Goyer (Dark City, The Dark Knight, Foundation et des dizaines d’autres films et séries) et surtout Allen Heingerg (plus surprenant : Grey’s Anatomy, Sex and The City…), permet de botter en touche quand la discussion avec les fans les plus puristes de la BDs risque de tourner autour de la fidélité à celle-ci : après tout, si Tolkien avait co-écrit le scénario de la trilogie du Seigneur des Anneaux avec Peter Jackson, on aurait certainement évité beaucoup de discussions inutiles, non ?

Ceci posé, essayons quand même d’y voir clair dans une affaire qui est pour le moins complexe : les 10 épisodes de cette première saison adaptent deux volumes de la série de comic books (Tome 1 : Préludes et Nocturnes et Tome 2 : La Maison de Poupée), avec deux histoires différentes, relativement indépendantes, qui se succèdent. Emprisonné pendant plus d’un siècle par un occultiste (Charles Dance, toujours impressionnant), au cours du premier épisode, Rêve / Morpheus / Sandman doit réparer les dégâts causés par son absence du Royaume des Rêves qu’il gouverne. Il lui faut d’abord récupérer les symboles de pouvoir / armes qui lui confèrent sa puissance. Cette quête fait l’objet des 4 épisodes suivants, qui culminent dans un cinquième épisode, 24/7, porté par le fantastique David Thewlis, qui est le premier sommet de la saison : réflexion noire, désespérante même, sur l’impossibilité de vivre sans mentir, cet épisode terrible, relatant une véritable expérience en huis clos dans un diner américain typique qui finit affreusement mal, est un coup de génie, qui fait passer la pilule de certaines imperfections – on y reviendra – de la série.

Plus fort encore, on enchaîne avec un incroyable sixième épisode, The Sound of Her Wings, qui raconte le résultat d’une autre expérience impliquant Morpheus : se promenant avec sa sœur la Mort, il décide avec elle, par jeu, de rendre un homme immortel pour voir à quelle vitesse celui-ci se fatiguera de la vie humaine. Rendez-vous est pris, chaque siècle à la même date, au même endroit, entre Morpheus et Hob Gadling (brillamment incarné par le fils de Ben KingsleyFerdinand), et, au fil des siècles, nous allons être témoins de l’évolution de la civilisation, des mœurs, des mentalités, et de la naissance d’une étrange amitié entre un dieu et un homme, tous deux immortels. C’est passionnant, c’est brillant, c’est émouvant, c’est tout ce qu’une grande série peut et doit nous apporter. Et cela justifie totalement la fameuse phrase de Norman Mailer sur Sandman : « une bande dessinée pour intellectuels ».

La dernière partie de la saison, les épisodes 7 à 10, sont moins réussis, mais s’avèrent quand même divertissants : ils introduisent une forte tonalité LGBT, avec plusieurs personnages-clés qui sont homosexuels, travestis ou non-genrés. Ben entendu, ces choix très contemporains, s’ajoutant à la décision de féminiser et de « dé-caucasianiser » de nombreux personnages de la BD, ont permis à l’habituelle mouvance réactionnaire de se répandre en messages de haine anti-wokisme sur les réseaux sociaux, mais pour tous les gens « normaux », cette étonnante vitalité sociale, politique et sexuelle d’une série de Fantasy fait réellement plaisir à voir !

Dans cette dernière partie de la saison, Morpheus affronte une conspiration de l’un des frères / sœurs, Désir, visant à le détruite en utilisant l’apparition d’un « vortex » qui met en danger l’équilibre des rêves, et même l’étanchéité entre rêves et réalité. Par moments, on frôle, dans ces épisodes, la vaine complexité d’une série comme American Gods (elle aussi adaptée de Gaiman…), ce qui fait un peu peur. Heureusement, il règne quasiment en permanence un humour et une fantaisie qui font que ça passe, même en force : le congrès des Serial Killers est une invention réjouissante, qui fournit un contrepoint bienvenu après les considérations dramatiques sur les abus d’enfants au sein de familles d’adoption.

Globalement, avec ses (très) hauts et ses bas (pas catastrophiques), Sandman est une belle réussite : en choisissant une disparité formelle décomplexée, Gaiman nous désoriente régulièrement mais nous réjouit la plupart du temps. On passe ainsi de la fantasy un peu enfantine (pas si loin de Harry Potter, avec le corbeau qui parle, l’épouvantail à tête de citrouille, etc…) au mélodrame amoureux (l’épisode 3 avec le personnage de DC comics, Constantine, devenu féminin, interprété par l’excellente Jenna Coleman), du fantastique gothique délirant (l’épisode 4 avec la grande, dans tous les sens du terme, Gwendoline Christie en Lucifer) à la parodie absurde, et c’est très rafraichissant.

Le choix de Tom Sturridge, vaguement irritant avec sa moue perpétuelle et son manque absolu d’expression, pour interpréter Morpheus peut indisposer, lui qu’on l’imagine plutôt musicien au sein de The Cure à l’époque de Pornography. Néanmoins, la qualité générale du casting ainsi que de la direction d’acteurs injecte dans la série une humanité précieuse, bien loin du simplisme qu’on rencontre souvent dans les adaptations de bande dessinées. Avec des moyens financiers considérables, les effets spéciaux nombreux sont quasiment tous réussis, et permettent aux passages oniriques, toujours un peu kitsch, de rester digestes.

Bref, il faudrait être bien trop rationnel, voire de mauvaise foi, pour ne pas applaudir à une réussite aussi improbable. Il reste que les fans puristes trouveront sans doute mille choses à reprocher à The Sandman. Tant pis pour eux.

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