"A Foul Form" de Osees : pour l'amour du punk hardcore
Tous ceux qui ont eu la chance de voir – si possible plusieurs fois, le plus de fois possible en fait – Osees (ou Thee Oh Sees, ou OCs, ou Oh Sees, etc.) jouer en live savent qu’il s’agit de l’une des expériences musicales les plus excitantes de la dernière décennie. Mais les mêmes savent aussi que, depuis quelques années, on peut difficilement appliquer le même qualificatif aux albums de John Dwyer et son équipe : expérimentaux, abstraits, louchant de plus en plus vers une sorte de musique progressive, voire ambient, les derniers disques n’ont que peu tourné sur nos platines, et c’était toujours un peu rassurant de les voir ignorés sur la setlist des concerts du groupe.
A Foul Form, le nouvel album de Osees, arrive comme une grosse surprise, ou plutôt un violent coup de pied destiné à renverser la table, et toutes nos certitudes qui y reposaient : « Vous vouliez du f…g rock’n’roll, eh bien en voilà » semble hurler John Dwyer sur un punk hardcore (presque) pur jus, millésimé années 80. Un disque qu’il va donc pouvoir jouer sur scène, pour provoquer des pogos encore plus furieux et frénétiques que d’habitude.
Mais, bien entendu, avec John Dwyer, rien n’est aussi simple qu’il ne semble à première écoute. Après tout, quelle mouche aurait piqué un musicien aussi ambitieux, aussi complexe que lui, qui ferait qu’il publierait un vingt-sixième album de 21 minutes et 59 secondes, où il singerait, même avec un enthousiasme complet, une musique aussi datée, aussi… usée même ?
Alors, oui, la plupart des morceaux font moins de deux minutes, ont un son en apparence bien pourri, sont composés de rythmes frénétiques, avec des textes - largement hurlés - au fort contenu contestataire, et sont évidemment écoutables comme un hommage sincère à la scène hardcore historique (presque « Old Skool »). Mais ce n’est pas tout : Dwyer nappe tout ça de feedback, de saturation, d’électricité statique, de hoquets électroniques (A Burden Snared) ; il introduit une bonne dose de second degré, comme au milieu du radical A Foul Form avec des sonorités de guitare que l’on ne peut que qualifier de… sardoniques ; et il laisse régulièrement la musique – en particulier sur les titres un peu plus longs comme Social Butt, Perm Act, et surtout Too Late for Suicide, passablement impressionnant – dériver vers une étrangeté qui raccroche A Foul Form plus fermement qu’on l’imaginait a priori au reste de la discographie du groupe.
Avons-nous affaire ici à un exercice de style comme ceux que nous offrent régulièrement King Gizzard & The Lizard Wizard en allant explorer des genres musicaux exotiques ? Ou bien, y a-t-il ici quelque chose de similaire au travail que fait un Jack White avec le blues et le blues-rock, une sorte d’artisanat dédié à recréer à la fois des sonorités et des sentiments d’autrefois, dont on déplore la disparition, et que l’on va faire revivre en les actualisant ? Ou bien encore, avons-nous totalement tort de nous poser ce genre de questions, et John Dwyer avait juste envie de chanter comme Johnny Rotten (sur Too Late for Suicide, ou sur Perm Act, par exemple) ou comme Henry Rollins. Et de rêver à ce que Osees auraient pu faire à la place de Fugazi ?
Impossible aujourd’hui de répondre à cette question : laissons passer quelques jours, quelques semaines peut-être, pendant que ce disque tourne sur notre platine, et met le feu à notre maison, et reparlons-en.