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Le journal de Pok
14 août 2022

“Nope” de Jordan Peele : filmer l’impossible

Nope affiche

L’irruption de Jordan Peele dans le cinéma, avec le triomphe commercial et critique de Get Out, avait fait l’effet d’une petite bombe : c’était là un film totalement réussi (terrifiant !) mais surtout totalement à part dans le cinéma US de divertissement. Il portait un profond message politique, voire militant, il mettait en avant un Afro-américain dans le rôle principal, et surtout il brouillait les pistes quant au genre lui-même auquel il appartenait. En répétant la même approche, de manière plus ambitieuse, avec Us, moins réussi toutefois, Peele montrait qu’il n’était pas l’homme d’un seul film, d’un coup de chance ou de bluff. On attendait donc énormément de Nope, précédé par des bandes annonces tour à tour cryptiques et explicites quant à son sujet, a priori l’affrontement d’une famille noire d’éleveurs de chevaux avec un OVNI.

Pour beaucoup de spectateurs, Nope s’avère, et c’était sans doute inévitable, une déception : déjà amorcé avec Us, le retour de bâton risque bien d’être sévère pour Peele, et de rappeler la haine qui a peu à peu accueilli les films de Shyamalan à son époque. Pour ceux qui attendaient de Peele une position politique dans la ligne #Black Lives Matter, ils ne trouveront rien du genre ici (même si le fait de faire d’une fratrie noire les « héros » d’un film reste une déclaration d’intention claire…) : c’est que Peele, un peu, et c’est surprenant, à la manière des auteurs européens, de la nouvelle vague française en particulier, a sans doute voulu faire avec Nope – expression de refus – un film-manifeste sur LE CINEMA.

Face à la prolifération des images-vidéos, capturées en particulier à coup de téléphones portables et de caméras de vidéo-surveillance, et destinées par leurs « auteurs » à leur apporter célébrité sur les réseaux sociaux et éventuellement fortune, Peele prend position : l’objet de son travail est de « filmer l’impossible », de fixer à l’image quelque chose qui ne l’a jamais été, pour son propre plaisir et non pour le public. Il convient pour cela d’alterner entre projets commerciaux et projets personnels, cette règle est énoncée par le personnage du réalisateur Antler Holst (un Michael Wincott usé mais combattif, à la voix sépulcrale), qui filme sur pellicule et en tournant la manivelle de sa caméra, et qui ira jusqu’au sacrifice ultime pour réaliser le plan dont il rêve. On voit donc que si Nope n’est pas politique au sens habituel du terme, il est une farouche déclaration d’intention… et à ce titre, s’avère peut-être le film le plus personnel de Jordan Peele.

Le problème le plus évident de Nope, c’est que le film est long, et aurait gagné à perdre un bon quart d’heure, et que sa structure est finalement assez labyrinthique, en dépit d’un sujet central a priori simplissime (quand on est la proie d’un prédateur tout-puissant, extra-terrestre en l’occurrence, comment survivre et vaincre ?... soit un peu le même sujet que celui de Predator). Cette complexité exagérée peut toutefois s’expliquer par le goût qu'a Peele de truffer ses scénarios d’éléments singuliers, dont la fonction doit être décryptée après maints efforts, par un public à qui l’on demande d’être attentif : ce sera à chacun d’entre vous – et nous ne vous dirons pas ici ce que nous en pensons – de comprendre ce que signifie l’intrigue secondaire tournant autour de Jupe (Steven Yeun, étonnamment décalé…) et du massacre sur le plateau de télévision…

Nous soulignerons simplement l’importance croissante des animaux dans les films de Peele, animaux qui passent au premier plan de l’histoire, mais surtout le fait qu’ils soient dépeints cette fois comme incontrôlables et dangereux : Peele, qui a filmé de manière graphique la sauvagerie humaine dans ses deux premiers films, « célèbre » cette fois la véritable sauvagerie des bêtes, qu’elles soient prédateurs ou proies.

Concluons en rassurons ceux qui auraient peur de s’ennuyer devant Nope : malgré ses longueurs, le film est amusant, spectaculaire – filmé en caméras Imax, il offre des plans vertigineux - et régulièrement effrayant : Peele sait construire un suspense, quitte à le désamorcer de manière drôle (les masques, la mante religieuse…) en pointant combien nous adorons imaginer que le pire va advenir, ce qui ne se produit jamais... ou presque. Mais quand le pire – cet impossible - advient, nous devons être là pour le filmer.

 

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