"Une Histoire du Cinéma Français : 1960-1969" : l’épreuve de la Nouvelle Vague
On a déjà parlé ici du projet original de Denis Zorgniotti, journaliste, critique, enseignant d’histoire de cinéma, et du regretté Philippe Pallin, trop tôt disparu, puisqu’il n’aura pas pu voir la réalisation complète de son grand ’œuvre. Une Histoire du Cinéma Français se propose de renouveler l’approche encyclopédique du cinéma en l’adaptant aux nouvelles approches de l’accès et de l’acquisition de connaissances, pour maximiser les chances que les plus jeunes générations de cinéphiles – ou de simples curieux – l’adoptent : moins de contenu théorique empilé dans de longs textes parfois obscurs, mais une structure facilement compréhensible, sous forme de « fiches » à la lecture attrayante et facile, le tout répété de manière systématique pour chaque année de la décennie contenue dans chaque volume. Il est facile de s’y repérer, d’y trouver très rapidement les sujets qui nous intéressent le plus – avant de se plonger, ensuite, dans une lecture complète ! -, et finalement de se construire une compréhension exhaustive de l’évolution du cinéma au cours de cette même période de temps. On pourrait d’ailleurs très bien imaginer une version digitale de cette encyclopédie, tant la structure imaginée par Zorgniotti et Pallin a le bénéfice de la clarté.
Bien sûr, et heureusement, cette approche moderne ne se fait pas au prix d’un appauvrissement du contenu, puisque la grande majorité des textes critiques (de films) ou historiques (biographies de réalisateurs, d’acteurs) sont remarquables d’intelligence et de passion, nous donnant quasi toujours envie de revoir des films aimés, ou de découvrir des films que nous ne connaissions pas, qui ont été un peu les oubliés de l’histoire officielle du cinéma (on pense par exemple dans ce tome aux Dimanches de Ville d’Avray de Serge Bourguignon, film qui a marqué l’année 1962 mais semble avoir été effacé de la mémoire officielle de la cinéphilie française !).
Mais si nous revenons aujourd’hui sur cette œuvre qui s’annonce colossale – et on attend avec une impatience mêlée d’inquiétude les futurs tomes consacrés aux années 2000-2010 et 2010-2020, tant on craint que le cinéma français n’ait plus cette richesse qui permet aux auteurs d’écrire comme ici 500 pages passionnantes ! – c’est que ce volume consacré aux révolutions des années 60 nous préoccupait a priori. Nous connaissions l’attachement des auteurs à un certain cinéma classique à la française (l’axe Prévert – Carné, pour faire caricaturalement simple), et nous nous demandions comment ils allaient aborder la Nouvelle Vague et le rejet de ce classicisme initié par les critiques des Cahiers du Cinéma...
La solution, finalement a posteriori évidente – apportée par Zorgniotti et Lledo (enseignant et critique qui a repris le flambeau de Pallin) est de désamorcer toute polémique autour de ce qui fut un affrontement violent entre classiques et modernes, en montrant ce qui est devenu un "nouveau classique" – ou s'est avéré intemporel - dans l’œuvre des jeunes loups de la Nouvelle Vague au fur et à mesure de leur maturité, et comment, réciproquement, leur vision géniale a infusé et renouvelé le cinéma populaire, lui permettant de se moderniser et de continuer à raconter la France des années 60, ces années où le monde changea.
Cette approche, réconciliatrice en quelque sorte, a l’immense avantage d’épargner aux jeunes générations, qui n’en ont plus rien à faire, les éternels récits d’anciens combattants de la guéguerre entre les Cahiers et Positifs, ou de retourner sur les polémiques autour des textes de Bazin ou du groupe des Hitchcocko-Hawksiens ! Quelque part, le temps, s’il a malheureusement, on l’a dit, effacé de la mémoire populaire, des œuvres importantes ou singulières, a aussi soigné les plaies des guerriers du Cinéma, et séparé le bon grain de l’ivraie. Et a achevé de ramener ces fameuses querelles qui ont enflammé le cinéma français, et parfois même la France entière avec les affaires de censure de la Religieuse par exemple, à leur peu d’importance dans la perspective historique générale. Bien sûr, en n’accordant pas – ou très peu – de place ici à des sujets théoriques importants (comme par exemple le texte génial de Rivette sur « le travelling de Kapo ») qui ont marqué la réflexion sur le cinéma et la représentation, les auteurs créent une sorte de point aveugle dans leur analyse du cinéma français : c’est leur choix, et nous le respectons. En espérant que les jeunes cinéphiles, appâtés par ce qu’ils découvriront ici, auront envie d’aller chercher ailleurs des informations supplémentaires…
On attend maintenant le tome sur les années 70 : on sait que cette décennie-là, qui donna naissance à un cinéma véritablement moderne, et aujourd’hui complètement rejeté par les défenseurs du cinéma de divertissement basé sur la prépondérance du scénario et du spectacle, a été véritablement explosive. On a hâte d’avoir l’avis de Zorgniotti et Lledo sur la Grande Bouffe, sur la Maman et la Putain, sur Perceval le Gallois ou sur le Diable Probablement !