"La Grande Balade de Petros" de Dimitrios Mastoros et Angeliki Darlasi : l’occupation d’Athènes vue par un enfant
En Grèce, La Guerre de Pétros, le roman de l’écrivaine et militante de gauche Alki Zei, est une œuvre majeure, l’un des témoignages les plus forts sur les souffrances du peuple grec pendant l’Occupation italienne puis allemande, de 1940 à 1944. Il n’est jamais inutile de rappeler aux Français, particulièrement en cette époque où l’extrême-droite minimise cette période-charnière de l’histoire européenne, que l’occupation fasciste fut souvent encore bien plus violente et destructrice dans d’autres pays européens : la dureté de ce que vécurent les Grecs sous le joug nazi en particulier, contée sans sentimentalisme facile mais avec néanmoins la distanciation qu’apporte un regard enfantin, constitue un véritable choc pour le lecteur.
Dans cette perspective fondamentale du rôle de la littérature dans la conservation d’une mémoire collective que le temps met peu à peu à mal, l’adaptation du livre de Zei en BD, proposée par le dessinateur Dimitrios Mastoros et par l’autrice de théâtre Angeliki Darlasi, est une manière efficace de continuer à divulguer ce type de récit, à une époque où la littérature « classique » touche moins les plus jeunes. Il n’est donc pas question de mettre en doute l’importance de la Grande Balade de Petros, qui bénéficie par ailleurs d’un travail graphique remarquable (même si l’on peut regretter le choix un peu convenu du noir & blanc / sépia, sans doute afin de caractériser l’aspect « historique » des faits relatés…).
S’il y a une petite déception quand même à la lecture de ce livre, en tout cas par rapport à sa matrice originale, c’est plutôt dans le manque de fluidité d’une narration dans laquelle on se perd un peu, avec une multitude de personnages parfois peu caractérisés, et auxquels on aura du mal à s’attacher : la Grande Balade de Petros ne nous embarque pas assez, ni émotionnellement, hormis dans ses toutes dernières pages, ni rationnellement, notre compréhension de la situation politique et sociale restant finalement sommaire (bien entendu, on peut admettre que le point de vue enfantin choisi par l’autrice explique ceci, mais la frustration reste là…).
De la mort de son grillon le 27 octobre 1940, jour qui correspond à l’annonce de la déclaration de guerre en Grèce, à la libération d’Athènes quatre ans plus tard, Petros va grandir – de 9 à 13 ans, un enfant change radicalement – en ayant à affronter la Mort (de plusieurs personnes aimées ou simplement fréquentées), mais aussi la déréliction de la structure sociétale et familiale rassurante qu’il connaissait jusque-là, sous les coups portés par l’Occupant : cette réalisation progressive par Petros de la fin de son enfance, et des jeux innocents qu’il essaie autant que possible de faire durer dans un monde hostile – comme par exemple le fait d’aller peindre des slogans anti-occupants sur les murs de la ville – constitue la partie la plus intéressante de la Grande Balade de Petros…
… un livre que l’on referme donc les larmes aux yeux, mais avec quand même quelques regrets, comme s’il nous avait manqué quelque chose (trop court ? trop classique ? trop superficiel ?) par rapport au chef d’œuvre espéré.
PS : il faut aussi rappeler aux plus jeunes que la libération en Grèce ne marqua pas un retour à la normale, mais au contraire la poursuite du cauchemar, avec une guerre civile meurtrière entre les résistants communistes et les nationalistes, qui résulta en la mise en place d’une dictature fasciste qui opprimera le peuple pendant encore trois décennies. Petros n’était donc pas tiré d’affaire !