Michael J. Sheehy en session Life Is a Minestrone le jeudi 30 juin
Quand Michael J. Sheehy entame Just Love Me, premier titre de son premier album solo après la fin de son groupe « culte » Dream City Film Club, on ne peut pas s’empêcher de penser que l’artiste qui écrivait cette chanson de triangle amoureux, dont le texte évoque le goût du sexe et la foi en l’amour d’un Cohen (« I don't care what you do with her / you might say I've got no pride / you might say I'm only here for the ride / but baby, I don't care what you do with her / just love me » - Je me fiche de ce que tu fais avec elle / tu pourrais dire que je n'ai pas de fierté / tu pourrais dire que je ne suis là que pour en profiter / mais bébé, je me fiche de ce que tu fais avec elle / aime-moi, tout simplement), a bien changé en vingt ans… Mais que sa musique reste, derrière une forme que l’on se risquera à qualifier d’apaisée, un noir tourbillon : la félicité conjugale et le bonheur d’avoir une petite fille à aimer ne font que tenir à distance l’obscurité du monde… sans même parler de l’obscurité que nous avons en nous.
Et si, presque une heure et demie plus tard – car Michael est généreux, et ce n’est pas parce que nous sommes quelques-uns serrés dans un appartement qu’il ne nous offre pas un vrai concert complet – il termine par sa version, près de l’os, du Perfect Day de Lou Reed, comme remerciement pour une belle journée, il ne se fait guère d’illusions non plus : « You’re gonna reap just what you sow » (Tu vas récolter ce que tu es en train de semer).
Ce soir, Michael chante devant une belle photo de Bob Dylan jeune, et même s’il reprendra une chanson de Robert Zimmerman, il nous rappelle qu’il a fait pour toujours allégeance à Elvis : oui, même si Michael joue désormais une sorte de folk épuré, sa musique reste inévitablement du… Rock’n’roll : il n’y a qu’à entendre la manière dont son So Long Sorrow Town se transforme en The Passenger, d’Iggy Pop, et la manière dont tout ça « remonte », derrière, pour n’avoir aucun doute là-dessus.
Michael nous a annoncé, en s’excusant presque, vouloir jouer surtout de nouvelles chansons, luxe qu’il affirme pouvoir se permettre puisqu’il n’a jamais eu de « hit singles » que le public pourrait lui réclamer, mais son set nous permettra de revenir quand même sur quelques chansons connues et aimées : le superbe Distance is the Soul of Beauty sera évoqué à travers ses deux titres les plus « évidents », The Girl Who Disappeared et I Have to Live This Way, ce qui a quand même un goût de trop peu, et Michael fera l’impasse totale sur son plus récent disque, The Crooked Carty Sings…, reprises intimistes et habitées de chansons traditionnelles irlandaises…
Mais finalement, ce ne sont même pas les chansons elles-mêmes qui importent, c’est cette voix – magnifique, on ne le dit pas assez souvent -, c’est cette pure magie que ce diable d’homme est capable de faire naître en quelques arpèges et encore moins de phrases : Michael J. Sheehy, ce soir, a arrêté le temps. Certes, en bon Anglais, il aime blaguer (on a adoré sa plaisanterie : « Il faut que nous prenions soin de ce monde que nous allons laisser à Keith Richards et Willie Nelson… »), surtout à ses propres dépens (il nous raconte la jalousie qu’il a pu ressentir, lui qui doit jouer dans les pubs, devant un copain plus célèbre fatigué d’une tournée à succès où on lui demandait encore et toujours ses greatest hits). Mais la vérité à laquelle sa musique atteint désormais doit être prise au sérieux : on parle là de « l’âme de la beauté », sans aucune prétention, mais sans aucune flagornerie non plus, et nous, ce soir, l’avons approchée d’un peu plus près, grâce à lui.