"Fuis-moi, je te suis" de Kôji Fukada : ““Pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il m’a fallu prendre””
Lorsque la seconde partie de "The Real Thing", astucieusement intitulée Fuis-moi, je te suis (même s'il semble que cette phrase correspond à une technique de drague, que nous préférons ignorer...!), après "Suis moi, je te fuis", Tsuji a décidé de prendre (enfin) une décision : de retrouver la raison, de retourner à la normalité de sa vie indécise, d'arrêter de courir après Ukiyo. Et bien entendu, très rapidement, ce n'est guère un spoiler, il va revenir en arrière, et replonger peu à peu dans l'enfer qui lui est promis depuis le début, ou plutôt depuis les premières minutes de sa rencontre avec Ukiyo. Ce second film va donc se concentrer sur les conséquences dramatiques pour Tsuji de sa rencontre avec une jeune femme aussi dérangée que Ukiyo, et sa déchéance inévitable, d'abord amoureuse, professionnelle, puis sociale. Et il faut bien admettre que hormis un petit twist tournant autour de la révélation (confirmation ?) d’un drame central du passé de Ukiyo à mi-parcours, on est loin cette fois de l'effet de surprise, voire de sidération, ressenti devant le premier film, au fil des découvertes de Tsuji.
Quelque part, il faut admettre que l’on s'ennuie un peu devant une histoire devenue prévisible, manquant parfois de crédibilité, peut-être à cause de coupes effectuées dans la matière de la série TV (à confirmer…) : ainsi les problèmes professionnels de Tsuji auraient mérité d'être mieux explicités pour être plus convaincants. De même la déchéance du très beau personnage du yakuza est trop intrigante pour que l'on se contente des ellipses du récit. Le paradoxe de "Fuis-moi, je te suis" est donc que l'on trouve le récit central trop long, trop prévisible, tout en regrettant de ne pas en découvrir plus sur les autres personnages, comme la petite fille abandonnée d’Uyiko, qui crève l'écran lorsqu'elle réapparaît. Il y a finalement tant de personnages potentiellement fascinants dans ce récit qu’on aurait eu envie d’une approche « chorale », certes plus traditionnelle, moins obsessionnelle, qui aurait jeté une lumière plus éclairante sur la situation centrale de la course-poursuite entre Tsuji et Ukiyo.
Il faut malheureusement attendre la dernière demi-heure du film, quatre ans plus tard, pour retrouver un peu de la magie du premier long métrage, jusqu'à une conclusion en forme d'éternel recommencement plutôt réussie. Nous vient alors à l’esprit, devant ce happy-end que l’on imagine bien temporaire, la fameuse phrase du "Pickpocket" de Bresson : « Pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre ! ».
Et c’est bien cette question – essentielle - du chemin, très long en l’occurrence, que l’on doit faire pour arriver à l’autre, qui a dicté l’approche de Kôji Fukada et le format de son film (pardon, de sa série TV). Il est donc paradoxal – et très dommage - que, après l'enchantement du premier volet, Fuis-moi, je te suis, témoigne surtout que, réduit à une durée de 2h30 par exemple, l'histoire de "The Real Thing" aurait pu déboucher sur un chef-d'œuvre.