"Jusqu'à la lumière" de Baptiste W. Hamon : boire pour vivre ou vivre pour boire ?
Des amis qui fréquentent les disques de Baptiste W. Hamon depuis ses débuts, il y a huit ans déjà, se sont empressés de nous expliquer : « Baptiste, pas besoin d’aller chercher bien loin, c’est le disciple français de Townes Van Zandt… ». Bon, d’accord, mais ce n’est pas mettre la barre très haute, vraiment très haute ? Trop haute pour ne pas engendrer une inévitable déception ?
Dès l’ouverture du troisième album de Hamon, on perçoit bien l’obédience country traditionnelle, la tentation de l’Americana grand cru, mais on ne peut guère s’empêcher non plus de remarquer que la voix de Baptiste reste très empreinte d’une certaine tradition de la chanson française : voilà donc un jeune homme qui fait le grand écart entre deux pôles musicaux pas forcément faits pour se rencontrer. Mais pour relever ce défi d’honorer les traditions d’outre-Atlantique sans oublier qu’il est français et bien français, Baptiste W. Hamon a mis deux atouts dans sa manche : le premier, imparable, c’est d’avoir demandé à John Parish de produite Jusqu’à la Lumière. Le résultat est là : au-delà de l’admiration évidente de Baptiste pour le producteur de PJ Harvey, de 16 Horsepower, de Giant Sand, de Sparklehorse ou encore d’Aldous Harding, il y a cette capacité désormais universellement reconnue du génie de Yeovil d’aller directement au cœur de la musique des artistes qu’il assiste. De faire surgir l’essentiel, en toute simplicité, et de rester classique – c’est-à-dire de ne rien oublier d’où vient cette musique – tout en sonnant parfaitement de son époque.
La seconde carte qu’il joue, sans aucune modération, ici, c’est celle de l’alcool. Du pinard. De la bière. De la gnôle. Des cuites, légères ou sévères. Un moyen comme un autre, mais bien connu, de retrouver de la légèreté, de l’insouciance face aux désastres de l’existence. Oui, la première chanson du disque s’appelle "Boire un Coup", et Baptiste y chante des choses comme : « Boire un coup / Que dis-tu ? Mais non ! / C’est pas un « rendez-vous » / Oh et puis merde et je m’en fous / Je pars juste boire un coup ». Eloge de la fuite devant l’amour qui passe et qui tache ? Et puis, plus loin, « Quand j’ai retrouvé Dorothée / J’étais fin défait, j’avais bien trop bu c’est vrai / Elle m’a même pas fait rentrer / Et j’ai rien pu dire, ça pouvait pas être pire / C’était la tempête sous mes pieds / Elle m’a traîné dans la rue / Et j’ai dégueulé, j’étais désolé c’est sûr » ("Dorothée"). Ou encore, « L’alcool c’est ptèt pas bon / Mais ça fait se sentir moins con / Quand passe l’aube claire / Qu’on se souvient de la date première / Où l’on se glissait sous ses draps / Où l’on était trompés déjà » ("Les gens trompés"). Et puis, « Il était tard / Et c’était l’heure de se séduire / Mais ce combat, personne ne l’osera plus / Alors ne reste que l’ennui / La cendre glisse dans le verre / Vidé du vin d’orange amère » ("Ils fument").
Dommage que le copain Miossec se soit déjà approprié pour plusieurs décennies le titre "Boire", car c’était la meilleure manière d’étiqueter ce nouveau disque, où les drames de la vie qui font tout le sel des grandes compositions des conteurs anglo-saxons sont égayés par un humour surprenant, par cette insouciance que procurent quelques grammes d’alcool dans le sang ! Du coup, l’album, suivant les états d’âme de l’auditeur, peut prendre les couleurs grises du folk d’un Cohen (une référence incontournable, surtout avec Lonny qui assure des chœurs impeccables) ou de la musique d’un Dominique A ("Ils fument…"), ou bien assumer une certaine jovialité poétique : ainsi, la valse primitive de "Retrouvailles avec le Froid", portée par les instruments et la production (faussement) rudimentaires de John Parish, illuminée par la voix de Lonny, va chercher une vérité élémentaire qui porte l’album vers les sommets.
Finalement, la seule faiblesse de Jusqu’à la lumière, c’est sans doute ce "Laughter Beyond the Frames", chanté avec Anne Brun, qui sonne véritablement trop comme une citation scolaire de Leonard Cohen… Heureusement, Baptiste a la brillante intuition de conclure son disque par une reprise de Jacques Bertin, "Revoilà le soleil" : un envol lyrique, intense et clair, vers une poésie universelle dont on a de plus en plus besoin : « … et chanter cette chanson-là, qui nous donnait envie de vivre, de vivre ! ».