"That Fucking Feeling" d'Adam Green : un chef d'œuvre de 20 minutes...
Comme pour son – déjà très réussi – album précédent, Engine of Paradise, le nouvel Adam Green, au titre sans ambages, That Fucking Feeling, dépasse à peine les 20 minutes. On connaît bien des mélomanes qui refusent d’appeler ça un album, un LP (pour Long-Play !), et qui nous accusent, nous les fans absolus du New Yorkais cool et déjanté, d’encourager sa paresse naturelle en célébrant des productions aussi… réduites ! Mais le fait est, à notre humble avis, que That Fucking Feeling, avec ses 10 chansons (la plupart aux alentours de 1 minute 30, montre en main…), fait preuve de plus de créativité, et donne bien plus d’occasions de se réjouir que la majorité des disques parus ces derniers mois qui étirent leurs maigres idées sur une heure remplie de redondances.
Et puis, on le sait bien depuis les Moldy Peaches, Adam Green ne fait rien comme tout le monde, et c’est même une autre raison – outre son talent mélodique et son habileté à trousser des textes réjouissants – pour laquelle on l’aime ! Parfois présenté comme un (autre) disque de confinement, ce nouvel album ne manque pourtant pas de chansons « à grand format », quasiment cinématographiques malgré leur courte durée… ainsi la superbe introduction de Blackout et son texte malin : « Do you think of yourself as someone you have not killed ? /… / Like a serial killer of self ? » (Vous considérez-vous comme quelqu’un que vous n’avez pas tué ? /… / Comme un tueur en série de vous-même ?), les violons tziganes du réjouissant, et… tourbillonnant Red Copper Room, qui évoque certaines envolées de Leonard Cohen quand il partait à la recherche de ses racines, l’ambiance spaghetti western, voire « tarantinienne » de All Hell Breaks Loose. Il y a aussi la blague biblique de Dreidels of Fire (« How the fuck do you explain that shit ? » – « Comment putain expliques-tu cette merde ? » ) qui est tellement typique de ce qu’on qualifie d’humour juif new yorkais, à la fois léger, cynique, et imprégné d’une crainte profonde vis-à-vis de cette religion dont on ne s’ échappe jamais vraiment… Même si, à la fin, les doutes les plus profonds se ramènent à la douleur d’un cœur brisé, de l’échec d’une relation : « She turned my festival of light to a festival of pain » (« Elle a transformé mon festival de lumière en un festival de douleur »).
L’album joue pleinement l’alternance entre ces chansons, presque inhabituellement ambitieuses, et de simples mais beaux moments intimistes, simplement interprétés en solo à la guitare acoustique : That Fucking Feeling, la chanson (« When the treasure’s blinding / and the pleasure’s aching / I have got a little bit of pain / that makes the truth so hard » – « Quand le trésor m’aveugle / et que le plaisir m’est douloureux / j’ai un peu mal / ça rend la vérité si dure ») dont émane une tristesse tranquille mais profonde, Bitter Hearts et son constat pas très réjouissant sur l’état de nos relations (« Bitter Hearts approve of my sentencing / Now everyone loves everything » – « les cœurs amers approuvent ma condamnation / Maintenant, tout le monde aime tout »), ou encore la bouleversante conclusion métaphorique d’un Little Failure (« Others have promised promethean light / They don’t have the strength to put up my fight » – « D’autres ont promis la lumière prométhéenne / Ils n’ont pas la force de me battre ») qui rapproche à nouveau Green de la poésie de Cohen.
Mais la plus belle chanson, celle où Adam arrête de faire le malin, sans pour autant se limiter à un folk lo-fi devenu un peu trop aisé pour lui, c’est la remarquable What’s Her Face, un nouveau bijou à rajouter à la tiare déjà étincelante de ce véritable monarque contemporain de la composition « classique » : le genre de morceau parfait pour lequel nombre d’artistes vendraient leur âme au diable, et qui nous rend Adam Green tellement cher.
« Thank heavens you know me now / I’m in love with What’s Her Face » (« Dieu merci, vous me connaissez maintenant / Je suis amoureux de « mais c’est quoi son visage » »)
20 minutes, c’est court, mais 20 minutes d’une musique aussi… sublime ont tout de la plus belle consolation possible en ces temps amers.