"Roar" de Liz Flahive et Carly Mensch : un portrait fragmenté la Femme dans un monde masculin
Cecelia Ahern est loin d’être aussi connue en nos contrées que dans le monde anglo-saxon, même si certains se souviennent sans doute du succès planétaire – en 2004 – de son premier roman, "PS, I Love You", écrit alors qu’elle venait juste d’avoir 20 ans, et devenu rapidement un phare de ce qu’on appelle parfois, avec un mépris injustifié, de la « Chick Litt » (des bouquins pour filles, quoi…). "Roar" est la nouvelle série « de prestige » mise en ligne par Apple TV+, qui lutte clairement pour attirer des abonnés en dépit d’investissements conséquents et qui a choisi un positionnement haut de gamme, bien éloigné de celui de Netflix : or, "Roar" est une « série » de 8 moyens-métrages (de 30 minutes environ) adaptés – on y arrive – de nouvelles de Cecelia Ahern. Le sujet commun à ces 8 épisodes est la question épineuse de l’identité de la femme, dans un univers masculin qui est loin d’être accueillant. Sans être ouvertement féministe, chaque histoire décrit un type d’expérience – anxiogène – vécue par une femme, avec un point commun qui est celui du fantastique, ou plutôt, se réclamant du réalisme magique, un terme qui revient à la mode.
Ainsi, chacun titre des 8 films doit être lu de manière littérale : « la femme qui disparaissait »… disparaît réellement, « la femme qui mangeait des photographies »… les ingère vraiment, etc. Ce qui a l’effet inévitable de créer un effet de curiosité donnant envie de découvrir ce que Ahern a bien pu inventer. Co-produite par Nicole Kidman, "Roar" réunit une pléthore d’actrices remarquables, voire exceptionnelles : Kidman elle-même, qui nous offre avec l’aide de la sublime Judy Davis le plus beau film de la série, et de loin, sur le basculement d’une vie lorsque Alzheimer surgit, mais aussi Merritt Wever (excellente comme toujours dans l’épisode le plus comique, racontant une histoire d’amour entre une jeune femme et un… canard !), Alison Brie (dans un remake de "Ghost" où une femme assassinée hante l’enquête policière sur son meurtre et découvre l’univers toxique des incels) pour les plus connues, même si l’interprétation générale est d’une qualité irréprochable, digne du meilleur cinéma. La mise en scène est, logiquement, confiée uniquement à des réalisatrices, et s’avère, sans exception, de très haut niveau, bien au-dessus de ce que l’on subit souvent dans les séries TV.
Et pourtant, pourtant, on a du mal à apprécier "Roar" comme œuvre cohérente : sans doute l’effet d’anthologie (ou, au cinéma, des fameux films à sketches, comme on disait autrefois) joue-t-il à plein, avec trop de variations de sujets, de style, et surtout de qualité pour que le téléspectateur ne se sente pas rapidement désengagé. Le problème est aussi, soyons honnêtes, qu’une bonne moitié des huit films ne sont finalement pas très réussis : démarrer "Roar" par "The Woman Who Disappeared", qui est l’échec le plus flagrant du lot, mauvais épisode de "Black Mirror" sur un thème pourtant passionnant (l’invisibilité des femmes de couleur dans l’industrie du spectacle…), est certainement une grave erreur, et le terminer par un autre film quasi incompréhensible, "The Girl Who Loved Horses" (sauvé quand même par la présence lumineuse d’une Kara Hayward qu’on a hâte de revoir sur grand écran), a pour effet de nous abandonner avec un très mauvais souvenir.
Bref, "Roar" est une belle occasion manquée de parler à la fois avec profondeur et légèreté de la multiplicité des expériences féminines dans un univers qui leur reste fondamentalement hostile. Au-delà du plaisir que l’on tirera – ou pas – de ces histoires fantaisistes (n’oublions pas que les showrunners en sont Liz Flahive et Carly Mensch, de "GLOW"…), on regrettera des choix de formatage (pourquoi une durée standardisée pour des histoires à la complexité aussi variable ? Pourquoi une image aussi systématiquement ripolinée, esthétiquement sophistiquée ? etc.) qui trahissent finalement le message pourtant central sur la diversité féminine…