"Bagarre érotique" de Klou : les TDS au-delà des fantasmes et des préjugés
S’il y a quelque chose de formidable dans la BD au XXIème siècle, et particulièrement le format qualifié de « roman graphique », c’est que, même si son succès commercial semble en nette décroissante en France face à la montée des comic books US et surtout des mangas, elle est devenue un formidable lieu d’échanges d’expérience, de partage d’idées, d’ouverture au monde. "Bagarre Erotique", de la jeune autrice-dessinatrice Klou, est l’un des livres les plus intelligents, les plus stimulants qu’on ait lu depuis longtemps sur la prostitution, sur les « TDS » (travailleurs et travailleuses du sexe).
Klou, 24 ans, a fait le choix de vendre son corps. Sans y être forcée, ni par une situation sociale dégradée, ni a fortiori par un quelconque proxénète. En entamant cette vie toujours « marginale » au sein du société « putophobe », elle s’est aussi lancée – sans doute involontairement au début – sur le chemin de la redécouverte de sa propre sexualité, mais aussi d’une réflexion politique qui l’a amenée à un engagement passionné. Contre la société patriarcale, mais aussi contre le capitalisme. "Bagarre érotique" est divisé en 21 chapitres qui couvrent un très vaste terrain, depuis le récit intime (bien dans la ligne de ce que l’on attend d’un roman graphique…) jusqu’aux théories politiques sur lesquelles s’est épanoui son militantisme, en passant par des réflexions quasi-philosophiques (ou en tout cas très intelligentes, parfois brillantes) sur les mythes, sur les religions, sur la psyché, etc.
Formellement, et c’est peut-être là le seul reproche que l’on peut faire à un livre aussi fort que passionnant, "Bagarre Erotique" mélange des dessins élégants, modernes, souvent très efficaces symboliquement, et un texte abondant… souvent trop abondant : certaines pages, les plus théoriques en toute logique (comme le chapitre intitulé « les putes ne sont pas des femmes »), basculent parfois du mauvais côté de cet équilibre entre mots et images. Comme si Klou, dont c’est le premier livre, ne faisait pas encore assez confiance en sa propre capacité à transmettre ses messages avant tout par le dessin… ou peut être en celle de ses lecteurs de réfléchir assez sérieusement aux sujets, souvent très ambitieux, traités. Dans ces moments-là, heureusement peu fréquents, "Bagarre Erotique" court le risque du didactisme, et Klou d’être vue comme « donneuse de leçons ».
On sort de "Bagarre Erotique" mieux informé, plus riche des diverses pistes de réflexion que le livre nous a offertes. Et c’est le plus beau, plus… empathique vis-à-vis de ces hommes et ces femmes qui doivent lutter quotidiennement contre tant de lois, de préjugés, de comportements toxiques, pour simplement pouvoir exister dans une société qui leur refuse les droits les plus élémentaires.
On attend maintenant de Klou un livre qui nous parle encore plus d’elle, comme femme, comme gouine, comme TDS, comme militante, qui nous raconte mieux son quotidien, un livre qui n’aurait plus besoin d’être aussi « théorique », aussi « didactique ». Un prochain livre qui confirme que Klou est aussi une grande autrice de Bandes Dessinées. Elle en est foutrement capable !