"La Pierre du Remords" d'Arnaldur Indriðason : une si petite île...
Troisième volume du nouveau cycle de la star du polar islandais, Arnaldur Indriðason, dont le personnage principal est l'ineffable - et de plus en plus antipathique - policier à la retraite Konrað, "la Pierre du Remords" est dans la parfaite continuité du tome précédent, le terrible "les Nuits de Reykjavik" : Konrað y poursuit son enquête personnelle sur l'assassinat de son père, crapule abjecte qui abusait de la crédibilité des femmes seules pour les plumer avec l'aide d'un complice voyant, tout en donnant en parallèle un coup de main à une ancienne collègue de la police enquêtant sur le meurtre sordide d'une femme qui avait contacté Konrað pour l'aider à retrouver son enfant abandonné à la naissance.
Une fois encore, c'est du noir de noir, au point qu'on imagine très bien Indriðason se réjouir en cherchant sadiquement ce qu'il pouvait bien imaginer d'encore pire que ce qu'il a raconté dans ses précédentes œuvres. Et le pire, c'est bien entendu qu'il y parvient (presque), avec une conclusion d'un nihilisme outrancier, où la résolution de la passionnante énigme centrale ne nous procure aucun plaisir, étant donné le calvaire que vivent ses protagonistes.
La critique a parfois pointé qu'Indriðason, en vieillissant, se rapprochait de plus en plus de Simenon, et il est vrai que, par exemple, dans l'étonnant premier chapitre décrivant la vie nocturne de deux immeubles se faisant face, on reconnaît un peu des tendances quasi entomologiques qui évoquent le grand écrivain franco-belge. Sans parler bien sûr, de la relativité du jugement qu'il se refuse de porter sur ses personnages, tous faillibles, tous faibles,... même si Indriðason sait tirer un trait net entre ce qu'il est prêt à admettre et ce qu'il abhorre et condamne (la violence contre les plus faibles, l'hypocrisie).
Un élément surprenant qui prend de plus en plus d'importance dans l'histoire qui sert de fil conducteur à cette nouvelle série, c'est le fait que le surnaturel commence à faire des apparitions de plus en plus notables : bien entendu, le pragmatisme terre-à-terre de Konrað (qui semble de plus en plus antipathique du fait de son manque de sensibilité vis à vis de ses partenaires d'enquête et de ses ami(e)s), dont on imagine facilement qu'il reflète les idées de l'auteur, combat farouchement chaque hypothèse qui n'est pas réaliste, nie agressivement chaque événement inexplicable par la raison pure. Reste que, peu à peu, des brèches s'ouvrent dans la fiction policière classique, ce qui s'avère intrigant, et sans doute bientôt passionnant.
Finalement, par rapport à son brillant prédécesseur, "les Nuits de Reykjavik", ce nouveau roman ne souffre guère que de deux défauts : d’abord l’utilisation excessive de flashbacks sensés nous faire revivre certaines situations extrêmes du passé, et donc avoir plus d’empathie vis à vis de certains protagonistes, souvent définis de manière facile à travers leur seul statut de victimes. Ensuite, et c’est plus gênant encore, ce qui nous semble une quasi-invraisemblance dans la rencontre fortuite de deux personnages : l’auteur sent bien qu’il pousse le bouchon un peu loin, et essaie de justifier son “tour de force” par la taille très réduite de la population islandaise, qui, d’après lui, pleut provoquer ce genre de coïncidence hautement improbable. Il n’a peut-être pas tort, mais il est difficile quand même de continuer à suspendre notre incrédulité pour le coup !