"Euphoria - Saison 2" de Sam Levinson : Asthenia
… Ce qui nous amène à la terrible déception qu’a constitué cette seconde saison d’une série qui a visiblement perdu le Nord. A moins que ce ne soit Sam Levinson, qui, enivré par le succès de sa première saison (on parle de Euphoria comme de la série TV la plus “commentée en direct sur les réseaux sociaux”, quoi que ce soit que ça signifie…), a pensé qu’il pouvait faire tout ce qui lui passait par la tête. Comme commencer par deux épisodes jusqu’au-boutistes et extrêmement malaisants, transformer la partie de l’intrigue relative aux drogues en version bâclée de Breaking Bad, utiliser un épisode entier pour faire la démonstration de sa maîtrise formelle (un exercice de virtuosité passablement insupportable de vacuité), et puis terminer sa saison sur une idée a priori intéressante, mais qui se révèle catastrophique : à travers l’adaptation par Lexi (soit quand même le personnage le moins bien écrit de toute la série) de la vie de la petite troupe sous forme de pièce de théâtre, proposer une mise en abyme de l’intrigue, et confronter les personnages à leur propre image passée par le prisme subjectif de l’Art.
Cette idée du théâtre et de l’insoutenable réalisation de sa propre vérité est en effet si mal réalisée qu’elle se retourne complètement contre la série : au lieu d’élever les différents thèmes de Euphoria vers le symbolisme, ou au moins vers la métaphore, elle fait redescendre toute l’intrigue de plusieurs niveaux. En ne jouant pas le jeu du réalisme d’une pièce de théâtre montée par des lycéens (comme c’était, encore une fois, le cas avec la formidable théâtralisation provocatrice de la sexualité dans Sex Education, décidément le modèle que poursuit Levinson sans jamais l’égaler…) mais en adoptant les codes de la comédie musicale hollywoodienne, Levinson brise le pacte avec ses spectateurs de la “suspension consentie de l’incrédulité” : si la pièce de théâtre n’est pas vraie, alors rien n’est vrai. En faisant réagir ses personnages littéralement au premier degré face au miroir qui leur est tendu, il contredit le principe fondamental de la “représentation symbolique” qu’offre l’Art. Le résultat est absolument mortel pour cette seconde saison : les septième et huitième épisodes nous détachent totalement de Euphoria, condamnent la série à n’être qu’un jeu intellectuel imaginé par une équipe qui n’en avait, justement, pas l’intelligence. Pire, la conclusion de la saison, mêlant bain de sang, démolition convenue du quatrième mur, et happy end doucereux (avec l'annonce improbable faite par Rue à Jules...) confirme tragiquement la perte complète de direction de la série.
Et c’est dommage, parce qu’il reste au milieu de ce naufrage deux épisodes qui nous ont littéralement soulevés. D’abord le quatrième (You Who Cannot See, Think of Those Who Can), grand moment cathartique où le très beau personnage de Cal (Eric Dane, absolument formidable !) affronte enfin son homosexualité devant sa famille horrifiée. Et ensuite le cinquième épisode (Stand Still Like the Hummingbird), harassante course folle de Rue poursuivie par son addiction et par la police : en passant à un jeu purement physique qui la délivre de ses mimiques répétitives, Zendaya devient l’héroïne magnifique et pitoyable d’un thriller éprouvant, et Levinson met pour la première fois la virtuosité de sa mise en scène totalement au service de son histoire et de son personnage.
Deux épisodes parfaits au milieu d’une seconde saison ratée. A suivre ?