"The Batman" de Matt Reeves : Ba7man
Pour qui, comme nous, ressent peu de sympathie - ni d’intérêt - pour tout ce qui est superhéros et superpouvoirs, le personnage de Batman incarne une sorte de valeur-refuge en cette triste époque où tout ce qui « est Cinéma » recule devant la prépondérance du spectacle et de la technologie. Qui plus est, Batman a déjà permis à Tim Burton de nous offrir deux jolies vignettes gothiques décadentes, et à Nolan de livrer lui aussi deux films corrects, tout au moins dans les limites de ce que son style sentencieux et lourdingue lui permet de faire. Après le coup de génie (oui, on ose le dire !) du "Joker" de Todd Philips, la nouvelle proposition « réaliste » (enfin, on se comprend…) et ultra-dark de Matt Reeves tombe au bon moment pour que les cinéphiles puissent à nouveau rejoindre les fans de blockbusters dans des salles de cinéma presque libérées du poids de la pandémie.
Ne nous esquivons pas, et ce d’autant que les avis divergent clairement sur "The Batman" : nous avons trouvé le film de Matt Reeves formidable, ou presque. Clairement un niveau en-dessous de "Joker", certes, mais formidable quand même, en dépit de quelques maladresses qu’il est facile de pointer – et ses détracteurs ne d’en privent pas : une voix-off inutile qui apparaît çà et là, assez à côté de la plaque, un scénario beaucoup trop ambitieux, trop complexe, combinant trop de sujets (sociaux, politiques, psychanalytiques… comme Joker, justement) finalement tous insuffisamment traités, et une paire de scènes maladroites et inutiles, voire même un peu ridicules, comme par exemple les baisers entre l’homme chauve-souris et la femme-chat, ou comme les références finales à l’héroïsme des pompiers lors de 9-11. Sur trois heures de film, ce n’est pas tant que ça, quand même, surtout quand on aligne en face toutes les qualités de "The Batman".
Il y a bien entendu le travail esthétique – décors, image, son, costumes, mais aussi cadrage – remarquable, avec une inspiration que Reeves est allée chercher, sans honte, du côté de Fincher ("Se7en", "Zodiac") et Ridley Scott ("Blade Runner", surtout), et qui transforme nombre de scènes en immenses moments de VRAI cinéma : citons, juste pour le plaisir, le combat / fusillade dans l’obscurité, la longue poursuite en voiture entre le Pingouin (Colin Farrell, méconnaissable) et le Batman, et surtout ce moment magnifique où l’homme chauve-souris, fumigène rouge à la main, guide les victimes dans l’arène submergée.
Là où "The Batman" tranche le plus franchement avec ses prédécesseurs, même les plus réussis, c’est dans la volonté de revenir à une véritable enquête policière, menée par le duo de « buddies » Bruce Wayne – James Gordon, affrontant un parfait psychopathe (un rôle idéal pour le grand Paul Dano, même s’il est un habitué du genre), les scènes d’action, aussi réussies soient-elles, étant finalement accessoires. Du coup, c’est la qualité du casting et de la direction d’acteurs qui permettent au film de transcender ses faiblesses : Robert Pattinson, tout en retrouvant largement son modèle emo/vampiresque de "Twilight", est fascinant du début à la fin, John Turturro est savoureux dans l’un des premiers rôles « de méchant » de sa longue carrière, tandis que Zoë Kravitz, Jeffrey Wright, Andy Serkis, Colin Farrell ou Peter Sarsgaard complètent une distribution réellement « quatre étoiles ».
Si l’on peut - comme toujours - craindre la suite, ici clairement annoncée avec la réapparition de notre cher Joker, on aura vécu trois bien belles heures de VRAI cinéma : passionnant, audacieux, original, résonnant qui plus est avec nombre de nos préoccupations contemporaines (le terrorisme, la corruption des élites tant politiques que financières, la fracture sociale débouchant sur une possibilité de guerre civile, et même la montée des océans !), "The Batman" est LE film qui rachète à lui seul les dizaines de blockbusters indigents dont on nous abreuve à longueur d’année.