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Le journal de Pok
30 janvier 2022

"Change the Show" de Miles Kane : l'album de la seconde chance

Change the Show

En 2007, à 21 ans, Miles Kane était l’un des plus beaux espoirs musicaux de Liverpool. En 2021, à 35 ans, il est aussi embarrassant que ce vieil oncle que l’on hésite de plus en plus à inviter aux repas familiaux, vu son comportement. En décembre 2008, avec ses Rascals à la Maroquinerie, on voyait en lui un digne émule de John Lennon. En août 2016, sur la scène de Rock en Seine, il avait avec Alex Turner rendu la musique de leurs Last Shadow Puppets complètement anecdotique, le public passant clairement après leurs private jokes et leurs déconnades entre potes. En octobre 2018, à la Cigale, il quittera la scène après guère plus d’une heure d’un concert en forme de montagnes russes, ayant visiblement oublié que la satisfaction de ses fans avait encore une quelconque valeur. Comment a-t-on pu en arriver là ? Trop de succès trop tôt, un succès dépendant d’ailleurs avant tout de son amitié avec la superstar des Arctic Monkeys ? La facilité et la débauche d’une vie en roue libre (sex and drugs and rock’n’roll) à Los Angeles, loin, trop loin des brumes du Wirral ?

En janvier 2022, au moment de poser sur la platine "Change The Show", on n’attend en tous cas plus grand-chose de Miles Kane, même si le titre de l’album, et l’annonce d’un retour en Angleterre laisse espérer une reprise en main de la carrière en lambeaux de l’ex-musicien prodige. Et dès l’intro pétulante et « plus anglaise, impossible » de "Tears are Falling", qui prend en outre l’allure d’une confession ironique (« I probably should know by now / When I’m wrestling with my fears and doubts / I can be a cold heartbreaker / A professional terminator » – Je devrais probablement savoir maintenant / Quand je lutte contre mes peurs et mes doutes / Que je peux être un briseur de cœur froid / Un terminator professionnel…), il est clair que Kane a voulu remettre les pendules à zéro : adieu au Rock de plus en plus lourd et grossier, goodbye la provocation à deux balles, on retourne aux basiques.

Et, comme on l’avait déjà compris lors de la sortie du premier album des Last Shadow Puppets, les basiques pour Miles (et pour Alex), c’est la variété british du début des années 60, soit une drôle de musique un peu ringarde, vaguement creuse, qui réjouissait les adultes très, très « straight » avant même que les Beatles fassent la révolution avec la jeunesse. Et puis, par là-dessus Kane rajoute une bonne louche d’hommage assez fidèle (et sincère, imagine-t-on) à la soul, à l’esprit Motown dont les morceaux ont, dit-il, accompagné son enfance.

Bref, "Change the Show" est d’une ambiguïté totale : on peut le voir comme un remise en question complète de Kane, qui abandonne son Rock à guitare tonitruant, à la fois américanisé (pour rien) et post-glitter, et applaudir à deux mains devant la légèreté de la musique qu’on entend ici ; ou au contraire, déplorer que Kane ne prenne finalement aucun risque dans sa mutation, retrouvant sagement ses marques dans un passé musical fait de variétés, de rythm & blues blanchi, de soul jazz cinématographique. Et chacun de ces deux points de vue est parfaitement défendable.

Mais, heureusement, il y a les chansons. Car Miles Kane est toujours resté capable, même au plus bas de sa trajectoire, de composer ces chansons très simples, avec des mélodies accrocheuses, que l’on aura de toute manière envie de chanter en chœur avec lui, voire même sous la douche. Alors ce que nous dit "Change the Show", c’est peut-être aussi ça : « relax, les amis, tout cela n’est pas si important, ce qui restera de toute cette histoire, ce sera au moins une poignée de chansons qui tiennent la route, et nous aurons accompagnés un bout de chemin ».

Au premier abord, il y a déjà l’étonnante frénésie rythmique et cuivrée (déboulant sur une ambiance soul moderniste vraiment convaincante…) d’un "Don’t Let It Get You Down" qui accroche immédiatement, et aurait pu faire une excellente BO d’un « early James Bond ». Ce sont ensuite les balades nostalgiques, aux mélodies très réussies de "Constantly" ou de "Coming of Age" (avec son piano bar qui ajoute une note de fantaisie bienvenue), qui retiendront notre attention : Kane semble désormais s’interroger avec honnêteté sur… l’état des choses, et sur sa vie.

Peu à peu, au fil des écoutes, on se mettra à aimer plus qu’on ne l’aurait cru possible les chansons simplement – et efficacement – dansantes, comme "Nothing’s Ever Gonna Be Good Enough" (« I never thought I could feel this way / So much attention and so very little to say » – Je n’aurais jamais pensé ressentir ça / Autant d’attention sur moi et si peu de choses à dire), en duo avec Corinne Bailey Rae, ou comme "Caroline". Et puis, comment ne pas tirer son chapeau à Miles devant un "See Ya When I See Ya" qu’on aurait aimé trouver sur les derniers albums de John Lennon ?

Alors quand arrive le moment de se quitter sur un "Adios Ta-ra Ta-ra" au swing soul particulièrement suave et au final entraînant, on se dit que, oui, décidément on est prêts à redonner une seconde chance à notre ex-idole déchue. Il suffit d’espérer que "Change the Show" marque bien le début d’une nouvelle étape dans la vie de Miles Kane, et ne reste pas un simple exercice de nostalgie.

 



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