"The Overload" de Yard Act : “Debout, main dans la main, regardant le monde brûler”
Après la dernière "nouvelle vague" de groupes anglais développant un post-punk ultra-expérimental qui nous a bien occupés ces deux dernières années, il était temps de passer à autre chose ! Et cet autre chose, cette nouvelle mini-révolution, ça pourrait bien être Yard Act, le combo de Leeds qui a beaucoup fait parler de lui avec ses singles à l'impact impressionnant. Et leur premier album, qui ose être un "concept album" racontant une histoire (eux parlent de série TV, c'est plus moderne !), qui ne reprend pas les fameux singles, est une véritable bombe : mêlant mélodies pop, énergie punkoïde, phrasé hip hop, et développant un discours socio-politique accompli et intelligent, "The Overload" s’avère une œuvre aussi tranchante qu’irrésistible.
Dans "The Overload", « Il est question d’un homme fin de vingtaine début de trentaine qui a toujours essayé de se battre contre le système, de défendre les choses auxquelles il croit et qui a un sens moral très affirmé. Mais c’est écrasant autant que ça rend heureux, sacrifier les opinions au profit d’une vie confortable, et toujours porter le fardeau de la décision. » explique James Smith, le chanteur de Yard Act, qui a débuté sous la forme d’un duo de quasi bricoleurs (James et son pote, Ryan Needham à la basse) et est aujourd’hui un « vrai » (?) quatuor de rock, avec batteur et guitariste. Le risque de se positionner d’entrée comme un groupe « politique », dénonçant les absurdités et les horreurs de notre monde étouffé par l’égoïsme du capitaliste, et dont le sens de la communauté et de la solidarité a été encore plus mis à mal par la pandémie, est évidemment de passer pour des donneurs de leçons, des rockers moralisateurs… Mais Yard Act n’est pas U2, il poursuit plutôt la brillante saga, tellement anglaise, des Kinks, des Specials et de The Streets : les Kinks, pour leur amour de la véritable Angleterre populaire, les Specials pour l’inscription de chroniques politiques réalistes dans une musique qui fait impeccablement danser, et bien sûr the Streets pour l’appropriation des techniques hip hop et leur adaptation à une « low to middle class » anglaise, blanche mais désormais elle aussi ravagée par la misère apportée par les politiques successives des Tories…
Avons-nous récemment écouté un groupe de Rock (ou même un artiste de hip-hop) de ce côté de l’Atlantique qui dise des choses aussi claires, aussi pertinentes, aussi honnêtes, aussi terribles même que Yard Act ?… Comme cette conclusion terrible du morceau le plus long, le plus ambitieux, le moins « commercial » sans doute de l’album, "Tall Poppies" : « We cry because children are dying across the sea / And there is nothing we can do about it / Whilst we benefit from the bombs they dropped / Which we had no part in building / We are sorry, truly we are sorry./ We are just trying to get by too » (Nous pleurons parce que des enfants meurent en traversant la mer / Et que nous n'y pouvons rien / Alors que nous bénéficions des bombes qui ont été larguées / Dont nous n'avons pas participé à la construction / Nous sommes désolés, vraiment nous sommes désolés. / Nous sommes juste en train d’essayer de nous en sortir, nous aussi…)
Dans "Dead Horse", leur diagnostic de la situation du pays post-Brexit est particulièrement impitoyable : « This crackpot country half full of cunts / Will finally have the last laugh / When dragged underwater / By the weight of the tumour / It formed when it fell for the fear mongering / Of the national fronts new hairdo » (Ce pays cinglé à moitié plein de connards / Rira enfin le dernier / Lorsqu'il sera entraîné sous l'eau / Par le poids de la tumeur / qui s'est formé lorsqu'il a embrassé la peur / Prêchée par le Front National et sa nouvelle coupe de cheveux…).
Il est sans doute inutile de préciser que tous ces morceaux, pour contestataires qu’ils soient, sont nourris de l’incontournable humour anglais, et que le sarcasme bien manié comme ici (et en cela, Yard Act fait écho aux textes de IDLES…) reste l’arme la plus efficace contre la haine et contre l’imbécilité qui semblent parfois triompher partout. Par contre, il faut répéter encore et encore que la majorité des chansons de "The Overload" sont avant tout de réjouissantes célébrations – rock, funky, hip hop - de l’énergie d’une jeunesse qui, on le sait, triomphera : comment ne pas se trémousser avec un grand sourire jusqu’aux oreilles, en levant les bras et s’aspergeant de bière tiède sur les irrésistibles "Payday" (« Take the Money and Run ! » - Prends l’oseille et tire-toi !) et "Pour Another" (« Standing round, hand in hand / Watching the world burn » - Debout, main dans la main / Regardant le monde brûler) ?