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Le journal de Pok
15 janvier 2022

"Ghosts on Tape" de Blood Red Shoes : la rupture et l'extase

GHOSTS-ON-TAPE-PACKSHOT

Il faut avouer, avec, pour une fois, un zeste de nostalgie, que nous avions eu un gros, gros coup de cœur en 2008 en découvrant Blood Red Shoes, ce duo de Brighton qui revendiquait fièrement qu’il ne saurait y avoir de beauté – de fulgurance ? – sans douleur : le symbole des chaussons ensanglantés du fait de la souffrance de la ballerine, en référence (nous semble-t-il) au film "les Chaussons Rouges" de Powell et Pressburger, disait tout ce qu’il y avait à savoir pour comprendre la démarche de Steven Ansell (mignon blondinet à la voix d’ange à la batterie pachydermique) et Laura-Mary Carter (teigne brune à la guitare saturée). Des mélodies – souvent magnifiques – et du bruit – souvent beaucoup – dans une formule concentrée sur l’énergie folle du duo, particulièrement renversante sur scène. Et puis, peu à peu, le sentiment de tourner en rond, d’avoir tout dit, peut-être, mena à un semi-hiatus de près de deux ans, sans parler d’un éloignement physique quand Laura-Mary s’exila en Californie. Jusqu’à un retour aux affaires en 2018, et une sorte d’ouverture vers une musique qui pouvait sembler un tantinet moins intransigeante…

"Ghosts on Tape" marque une rupture surprenante, plus encore qu’un simple virage, dans la musique de Blood Red Shoes, dont on peinera d’abord à retrouver la signature. Bien entendu, c’est l’invasion de l’électronique qui frappe, même si on savait Steven impliqué ces dernières années dans l’électro alternative, voire d’avant-garde : la disparition complète de la formule mélodies + guitare noisy, à laquelle Blood Red Shoes nous avait habitués, est un choc, de même que le traitement des voix qui les rends souvent méconnaissables. Au point où l’on se dit que cela n’aurait peut-être pas été une mauvaise idée de changer également le nom du groupe, histoire 1) d’éviter la déception des fans fidèles du duo d’antan 2) de ne pas rebuter les amoureux d’électro qui risquent d’éviter "Ghosts on Tape" !

Mais bien sûr, tout n’est pas si simple, car, au fil des écoutes de l’album, on retrouve des éléments caractéristiques de la personnalité de Blood Red Shoes : d’abord cet esprit « nous contre le reste du monde », cet isolement virtuel de Steven et Laura qu’ils ont toujours matérialisé clairement sur scène : comme le confirmait Steven récemment : « Nous avons toujours été des outsiders, et avec cet album nous nous déclarons comme une petite île, qui nous appartient ! ». Ensuite, parce que la musique de Blood Red Shoes a toujours été l’expression d’un malaise, d’une souffrance : la seule chose, c’est que cette fois, Laura et Steven ont poussé tous les curseurs dans le rouge. Comme si Blood Red Shoes revenait aux racines d’un rock indus et psychotique qui avait donné dans les années 90 un groupe comme Nine Inch Nails ou un album comme "1. Outside" de Bowie. Deux références certes écrasantes et peut-être trop passéistes, "Ghosts on Tape" étant un album parfaitement de son époque, mais qui viennent à l’esprit devant tant de colère, de (presque) désir d’anéantissement, heureusement conjugués à une expression très claire de la personnalité du groupe. Et à une détermination qui semble inédite dans son histoire.

En jouant avec un imaginaire morbide (serial killers, psychopathes, meurtres) très cinématographique), en citant David Lynch comme inspiration, Blood Red Shoes a trouvé clairement à la fois un exutoire au malaise de Laura-Mary et Steven, mais également un nouvel élan artistique, une manière différente d’exprimer sa créativité. *

"Ghosts on Tape" commence de manière secouante par une balade au piano aussi sublime que grinçante (« You’re not keeping me safe / You’re keeping control / It’s quiet it’s cold and You won’t let me go outside » - Tu ne me gardes pas en sécurité / Tu me gardes sous contrôle / C'est calme il fait froid et tu ne me laisseras pas sortir), rapidement saturée d’électronique, jusqu’à ce que Steven se mette à hurler : « I will not comply ! ». Mais c’est "Morbid Fascination", tout en force et en lyrisme malade, qui définit réellement ce que sera l’atmosphère de l’album, avec la voix vénéneuse de Laura-Mary : quelque part, malgré le malaise qui prévaut, on peut aussi être rassurés, la BEAUTE est toujours aussi présente dans la musique de Blood Red Shoes.

Tout l’album déploie une puissance musicale spectaculaire : il ne renonce pas totalement aux hooks pop typique du groupe, comme avec le refrain du paranoïaque "Murder Me" (« I know what you want / i know what you fear / I’ve been watching you » - Je sais ce que tu veux / Je sais ce que tu crains / Je t'ai observé) ou encore la relative facilité accrocheuse de "Sucker", pas si loin en fait de Garbage, (même si cela pourra sembler rédhibitoire à certains…). Il se permet des décrochages inattendus (le phrasé hip hop hystérique de "Give Up", qui débouche sur une conclusion éthérée véritablement cinématographique, ou encore le stomp très glam rock de "I Lose Whatever I Own" se terminant en drone), et quelques moments de repli émotionnel ("Begging" avec sa guitare acoustique primitive, ou la très mélodique conclusion de "Four Two Seven") qui magnifient encore le risque pris par le groupe.

Mais c’est pour nous le rageur "I Am Not You" (« I don’t need a thing / that you could fuckin give / I take all my strength / In every step I take away from you » – Je n'ai besoin de rien / que tu pourrais donner / Je tire toute ma force / Dans chaque pas qui m’éloigne de toi) évoquant effectivement les débuts de Nine Inch Nails – qui emporte nos suffrages : on a hâte de voir ce qu’un tel brûlot, colérique et pourtant majestueusement lyrique, va donner en live, mais on est d’ores et déjà certains que "Ghosts on Tape" marque le grand, grand retour de Blood Red Shoes.

 

 

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