"Small Axe : Mangrove" de Steve McQueen : un procès fondateur
Les cinq films de Steve McQueen composant le corpus Small Axe, présenté comme une série TV qu’il n’est pas vraiment, constituent l’un des plus remarquables travaux de mémoire réalisés de ce côté de l’Atlantique sur le racisme systématique dont sont victimes les populations immigrées, surtout si elles ont la peau foncée.
Mangrove est le vaisseau-amiral de Small Axe, le gros morceau, et pas seulement par sa durée : dans un monde sans pandémie, il serait logiquement sorti en salles, et aurait très certainement marqué l’année cinématographique. Il narre des faits réels, le procès des Mangrove 9, neuf personnes accusées de violences lors d’une manifestation organisée pour défendre le restaurant « Mangrove », lieu de rencontre pour la communauté antillaise de Notting Hill : ce procès fut l’occasion de la première reconnaissance officielle du racisme endémique au sein de la police londonienne. Assez traditionnel dans sa construction, le film débute par une description brutale des exactions des « bobbies » dans le quartier antillais, et en particulier contre le restaurant, ce qui mènera à la manifestation, avant d’enchaîner des scènes de procès respectant les codes du genre, avec plaidoiries mémorables, coups de théâtre et retournements de situation. Mangrove est du cinéma populaire de la meilleure facture, parce que McQueen porte toujours le juste regard sur ses personnages, leur permet d’exister à l’écran comme véritables êtres humains et non comme porte-paroles symboliques de son discours. Parce que le film respire autant le respect de tous que la (juste) indignation devant le comportement de certains. Parce que l’interprétation est entièrement superbe, même si l’on aura sans doute un coup de cœur particulier pour Laetitia Wright, magnifique incarnation d’une militante locale du mouvement des Black Panthers. Pour toutes ces raisons, Mangrove est l’un des films qu’il est impensable de ne pas regarder cette année, un film qui d’ailleurs devrait plaire au plus grand nombre, un peu comme 12 Years a Slave à son époque.