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Le journal de Pok
23 septembre 2021

“Apocalyspe Show, quand l’Amérique d’effondre” de AL Melquiond : histoire, géographie et politique de la fin d’un monde…

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Il est un fait qui était bien connu autrefois, lorsque la critique cinématographique était une discipline « sérieuse », et ne s’était pas encore dissoute dans la promotion éhontée financée par la production et dans le grand bain des opinions péremptoires assénée par tout un chacun sur les réseaux sociaux : il est essentiel de bien analyser le cinéma populaire, de le considérer comme l’un des révélateurs les plus fiables de l’état de la société, l’une de mesures les plus exactes des grandes tendances de notre monde. Soit une chose que le cinéma qualifié d’Art et d’Essai, ou d’auteur, n’a jamais été, sa démarche artistique, et même parfois élitiste, le séparant de manière plus ou moins radicale de la « vraie vie ». Cette approche sociologique si l’on veut, politique souvent, du 7è Art est moins vivace aujourd’hui, et on entend souvent les cinéphiles – sans même parler du grand public – rejeter violemment des thèses qui mettraient en particulier en avant les messages politiques sous-jacents à un film – ou à une série – populaire, en arguant du fait qu’il ne s’agirait là « que d’un divertissement ».

Ce long avant-propos pour célébrer le travail de fond de la maison Playlist Society, qui publie obstinément des réflexions, plus ou moins puissantes, mais toujours passionnantes, sur ce que l’Art – que l’on parle de Cinéma, de Séries TV – un media qui a largement remplacé le Cinéma en tête des préférences du public -, mais aussi de Musique et de Littérature, disent de nous, de notre société et de notre futur. Le titre de l’essai d’Anne-Lise MelquiondApocalypse Show, Quand l’Amérique s’effondre, est particulièrement stimulant – d’autant qu’on a encore à l’esprit le formidable Géographie Zombie de Manouk Borzakian : la multiplication ces dernières années des fictions apocalyptiques ou postapocalyptiques aux USA, et leur succès à travers le monde, mérite bien qu’on s’y arrête, et que, justement, on ne se contente de la bien banale explication psychologique de leur attrait, tournant autour de la catharsis ou de l’exorcisme de nos terreurs refoulées.

Apocalypse Show était à l’origine une thèse, que Melquiond a simplifiée, raccourcie, restructurée, comme elle nous l’explique en préambule. Elle attaque le sujet de la Série TV « apo » ou « postapo » sous trois angles : la géographie, un peu – sujet qui rejoint le travail de Borzakian -, mais surtout l’Histoire (des Etats-Unis) et la politique. En partant des origines – religieuses bien entendu – du concept d’Apocalypse (« Littérature de temps de crise, les apocalypses sont nées dans un contexte d’espérance messianique »), Melquiond recentre son analyse sur les USA, sur le concept de « frontière » (« limite entre la sauvagerie et la civilisation ») inhérent à la conquête, et à la préservation du territoire américain (les fameux murs chers à Trump), et surtout – et là, le livre est passionnant – sur l’éternel principe de la société US : « les fictions apocalyptiques rejouent sans cesse l’effacement de ceux qui étaient présents auparavant par des procédés violents : il faut tuer l’autre… ». Encore et toujours, la société US répète dans ses fictions la nécessité de la violence contre l’autre, même proche (la plaie jamais refermée de la Guerre de Sécession), perpétuation d’une « mythologie » américaine et justification constante de l’exportation militaire de cette violence sur d’autres territoires.

Encore plus intéressante est la dernière partie du livre, qui se concentre sur les « messages politiques » – largement extrémistes, en fait – que transmettent les séries TV du genre : la nécessité pour le gouvernement US de protéger la nation contre les invasions (Walking Dead étant clairement une série qui a soutenu les messages de l’administration républicaine, voire trumpienne) et contre les contaminations ; l’importance d’un leadership fort, même si cela signifie l’abandon des principes démocratiques et des libertés individuelles élémentaires ; le rôle central des armes aux mains des « vrais américains », etc. Avec deux éléments essentiels, à notre avis, qui auraient mérité un développement plus ample : d’abord le point aveugle que constitue pour la fiction US le véritable risque apocalyptique actuel, la question écologique – superbement ignorée ! – et ensuite, le fait, lié au précédent, qu’il est possible d’imaginer la fin du monde, mais certainement pas la fin du Capitalisme, qui semble plus que jamais pour les US le mécanisme incontournable de quelque société humaine…

L’importance des analyses conduites par Anne-Lise Melquiond n’empêche pas, malheureusement, Apocalypse Show de souffrir de quelques défauts, qui en réduisent l’impact. En se limitant à seulement quelques séries (principalement The Walking DeadThe LeftoversBattlestar Galactica et The 100) pour illustrer son propos, Melquiond passe à notre avis à côté de points de vue plus riches qui auraient pu être apportés en intégrant également le cinéma de genre dans l’analyse. On peut aussi regretter que l’embryon de réflexion entreprise sur la gestion du temps – flashbacks, ellipses, etc. – ne débouche pas sur grand-chose de pertinent, en particulier si l’on se réfère à des travaux plus conséquents sur le temps au Cinéma qui ont pu être produits ailleurs.

Mais ce sont là des points mineurs dans le contexte d’un travail qui, s’il ne fait clairement pas le tour de la question soulevée, se révèle particulièrement fécond.

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