"La Loi de Téhéran" de Saaed Roustayi : le goût du crack
Finalement, nous sommes tellement obnubilés en Occident par la dictature religieuse en Iran que nous avons presque du mal à imaginer un film iranien (ou même un film sur l'Iran) qui ne traite pas d'une manière ou d'une autre de la situation de la femme ou du lourd couvercle de la loi islamique qui pèse sur la société (faisons ici l'impasse sur les sujets politiques qui prolifèrent aussi autour du nucléaire iranien...) : "la Loi de Téhéran" est d'emblée un film tétanisant et suffoquant à la fois, parce que son sujet - surprenant, donc, a priori - est l'explosion du crack dans une société à la dérive, où 6.5 Millions de consommateurs sont désormais recensés, et où la répression policière et judiciaire, implacable, s'avère totalement impuissante.
Après un démarrage façon thriller réaliste et rude, "à la Friedkin", le film de Saaed Roustayi va peu à peu se teinter d'un aspect presque documentaire, qui en décuple l'impact : des images des terrains vagues où s'entassent crackheads hébétés de tout âge et des deux sexes, aux scènes stupéfiantes d'entassement carcéral, la fiction se nourrit de cette crédibilité constante de ce qui nous est montré. Et une fois le "criminel" capturé, et la partie de l'enquête policière bouclée, le film s'enfonce - s'enlise même un peu, mais ce n'est pas très grave - dans une peinture sociale (et politique, ce qui surprend d'ailleurs pour un film iranien) de la déliquescence non seulement des institutions, mais également des rapports humains.
Après un passage intensément troublant qui voit les deux policiers au centre de l'histoire se livrer à des "actes répréhensibles" l'un envers l'autre - chacun essayant un temps de nuire à l'autre devant une justice qui ne fait clairement pas plus confiance à la police qu'aux criminels -, "la Loi de Téhéran" se clôt superbement sur une dernière partie "expliquant" (sans les justifier) les racines sociales de la criminalité, et montrant l'horreur absolue de la peine de mort.
Non sans nous rappeler du même coup que les principales victimes du chaos sont les enfants, une constatation qui nous ramène presque au cinéma "sur l'enfance" d'un Kiarostami : c'est dire l'ambition de Saeed Roustayi, et le fait qu'il transcende largement ici le cinéma de genre, pour livrer un constat littéralement terrible sur l'état de la société iranienne.