"Benedetta" de Paul Verhoeven : Le retour de l'aventurier du mauvais goût perdu
Finalement, "Elle", film pourtant remarquable en tous points, qui montrait (ou faisait croire à) un Verhoeven « de bon goût », ayant conservé tout son venin mais l’ayant rendu plus facilement digeste, était un pur mensonge. Et pour certains, comme pour nous, qui adorons la méchanceté et la grossièreté absurde du « Hollandais Violent », "Benedetta" est un inattendu retour aux sources de son euh… talent : soyez prévenu, même si la bande-annonce du film et l’annonce de sa sélection à Cannes tendaient à faire croire en un film « sérieux », il n’en est rien. Il suffit d’ailleurs de compter le nombre de spectateurs horrifiés ou dégoûtés qui quittent la salle pour en témoigner !
Car "Benedetta", ce n’est pas "Thérèse" (malgré toute l’affection que l’on porte à Cavalier et à son chef d’œuvre), c’est une réactualisation de "la Chair et le Sang" – peste, sang et sexe – mâtiné de "Black Book" – comment les femmes triomphent de la guerre et des humiliations, avec un peu de scatologie en sus. Et c’est une bonne nouvelle pour le Cinéma, ou du moins comme on en faisait AVANT : avant le bon goût, le politiquement correct et la crainte d’offenser. Car "Benedetta", juste dans ses côtés crapoteux, fleure bon les années 70, quand Verhoeven a commencé à tourner ses brûlots et a été – assez inexplicablement – promu metteur en scène hollywoodien à succès.
Bon, il faut s’habituer d’abord à des Italiens qui parlent français, à des acteurs qui jouent de manière assez approximative, à des dialogues contemporains loin de toute crédibilité historique lors d’une introduction assez croquignolesque : on n’osait espérer du viol et du massacre dans les cinq premières minutes de "Benedetta" (ça sera pour plus tard…), on a une fiente d’oiseau sur l’orbite d’un borgne, et ce n’est pas si mal finalement !
C’est que "Benedetta" est un film qui monte assez lentement en puissance, mais dont les scènes choc / fortes se font de plus en plus en nombreuses et fréquentes, au long de ses très courtes cent trente minutes. On frissonne d’abord devant le récit de cette étrange religieuse qui a des visions ultra-réalistes de son « mari Jésus » (qui, ceci dit, tranche rapidement quelques têtes sur un mode « montypythonesque » avant de lui proposer un petit accouplement conjugal vite fait bien fait…), et qui va finir par aspirer à la sainteté grâce à des stigmates bien opportunément apparus. Tout en goûtant aux joies de la chair avec une jeune novice fatiguée des membres virils de son père et de ses frères, et qui l’initie aux pratiques saphiques. Autour des deux jeunes femmes, ça s’agite, ça conspire, ça manipule, dans la plus franche et odieuse tradition de la grande « saloperie » humaine. Mais Benedetta est-elle une sainte, ou une manipulatrice encore plus douée que tout le monde ?
Verhoeven nous offre donc un grand festival de provocations, parfois puériles (c’est une statue de la Vierge qui sert de godemiché à Benedetta, pétomanie et excréments sont de la partie, etc.), mais le plus souvent bien senties : oui, la foi est un aveuglement, la religion est avant tout un moyen de détenir le pouvoir, le sexe – et l’amour – est indissociable de la trahison. Et Verhoeven appelle un chat un chat, ou plutôt une chatte une chatte (abondance de nudité frontale, by the way…), et il est absolument permis de rire (et beaucoup) pendant le film. Mais bien entendu, tout cela, maladresses y compris, n’est pas aussi gratuit que l’esprit potache qui préside au film voudrait nous le faire croire : Verhoeven démonte une fois encore l’insupportable hypocrisie d’un système répressif, dont la défaite ne peut venir (et c’est là aussi très années 70, en effet) que de la libération des corps, par le sexe ou, s’il n’y a pas d’autres solutions, par la maladie.
Sinon, Verhoeven sait toujours obtenir des performances étonnantes de ces acteurs principaux : "Benedetta" risque de rester le meilleur rôle de Virginie Efira, d’une absolue ambiguïté, mais Charlotte Rampling est extraordinaire de finesse, et Lambert Wilson compose à nouveau l’une de ces délicieuses ordures absolues que l’on adore forcément. Et "Benedetta" reste un modèle d’écriture et de mise en scène presque « classiques ». Ce qui, évidemment, ne rendra pas la pilule plus digeste pour ceux qui détestent la grossièreté et l’outrance.
Mais finalement, ce qui jettera peut-être le plus de trouble ici, c’est que Verhoeven reste le cinéaste le plus clairement féministe qui soit, sans pour autant se mentir : les femmes sont bien supérieures aux hommes, mais encore plus monstrueuses !