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Le journal de Pok
3 mai 2021

"Setting the Dogs on the Post Punk Postman" de Luke Haines : un auteur incontournable de pop déviante...

Setting the Dogs

En France, en 2021, il y a fort à parier que nous ne sommes pas plus d’une centaine, et encore en faisant preuve d’un incroyable optimisme, à célébrer la parution d’un nouvel album de Luke Haines. Et pourtant, en 1993, ce type était le leader d’un groupe, The Auteurs, dont le premier album, New Wave (vous pigez la vanne, chers cinéphiles ?) avait été classé un peu partout comme l’un des meilleurs de l’année. Mais, à partir de là, l’ami Luke est parti en vrille, de manière surprenante, dramatique et pourtant drolatique. Chaque album des Auteurs était plus dérangeant que le précédent, puis Haines a préféré appeler son groupe suivant Baader Meinhof, ce qui était plus proche de sa vision de la musique. Il a aussi créé un combo électro-pop, Black Box Recorder, aussi pop qu’électrique (dans le sens de « chaise électrique », pour le coup) que tout le monde a ignoré, sans faire cas d’une pochette d’album mémorable en forme d’étalage de viande – vite cachée par la maison de disques. Vous voyez le genre ?

Il faut aussi admettre que plus les textes de Haines devenaient provocateurs, virulents, plus son talent mélodique semblait s’épuiser : Luke, c’est finalement le genre de type à nous recycler encore et encore les 3 ou 4 même mélodies, et comme il n’a pas beaucoup de voix, on criera difficilement au miracle musical ! Non, on rigole… on est un peu méchants, parce lui l’est aussi, méchant (régulièrement désagréable sur scène, qui plus est !),… et puis on n’est pas très honnêtes non plus, parce qu’en fait 80% des chansons composées par Luke Haines nous paraissent délicieuses : pop et sucrées parfois, vicieuses et tranchantes d’autres fois, élégantes toujours. Et d’ailleurs, le nouveau Luke Haines mérite non seulement le prix du meilleur titre d’album de 2021 (Setting the Dogs on the Post Punk Postman, soit « lâcher les chiens sur le facteur post-punk » !), mais est aussi un vrai régal, tout au moins pour qui aurait toujours rêvé d’écouter le résultat du croisement dans le laboratoire d’un savant fou entre un Mark E. Smith qui aurait décidé d’aimer la pop, un Syd Barrett miraculeusement désintoxiqué et un musicien glam rock bas du front (on vous laisse choisir…) affligé d’un acouphène l’obligeant à baisser le volume de sa guitare. Ah, et aussi pour situer aussi le chant de Luke, on louche ici du côté d’Elliott Murphy souffrant d’une extinction de voix chronique.

Si Luke est en colère contre ceux qui veulent muséifier la musique et ont inventé ce fameux « post punk » qui n’a jamais existé (rappelons à ceux qui n’étaient pas nés mais font les malins qu’on appelait ça la new wave, à l’époque…), les onze chansons qu’il nous offre ici sont toutes un régal, et ne sont pas toutes le fruit de son mépris et de sa rage. Elles nécessitent néanmoins pour être pleinement appréciées une connaissance raisonnable de la langue anglaise, parce, derrière les riffs de guitare saturée mais paresseuse, les bidouillages électroniques décérébrés, les poussées de mini-symphonies ringardes, les effets sonores absurdes, les refrains entraînants, il y a, on vous l’a dit, des lyrics qui enfoncent sans forcer tout ce qui se fait actuellement dans le genre : oui, même ceux de Sparks ou de Divine Comedy, parce qu’à l’humour de ces derniers, Haines le bien nommé ajoute une couche d’étrangeté, de déviance et de violence cruelle réellement exceptionnelles…

Florilège – mais le choix ne manque pas – qui dénote une jolie obsession pour l’Allemagne d’antan, les cadavres dans des états divers et la radieuse et médiocre Angleterre post-Brexit :

Secrets and Lies, a memo from the Bundesbank, wearing a groovy disguise, driving round in a Trabant, Ex-Stasi Spy, I’m paid by the Government, baby, to keep the dream alive – Secrets et mensonges, un mémo de la Bundesbank, vêtu d’un déguisement groovy, conduisant une Trabant, Ex-espion de la Stasi, je suis payé par le gouvernement, bébé, pour garder le rêve vivant (Ex-Stasi Spy)

I’m a Kaiser kinda guy, got a helmet with a spike… I’m a U-Boat lover man until the day I die – Je suis un mec du genre Kaiser, j’ai un casque à pointe … Je suis un amoureux des U-Boats jusqu’au jour de ma mort (U Boat Baby)

On the top deck of the bus, lovers hold hands, now I’m a freak, nobody wants to sit next to me, I am just singing a song with Ivor on the bus – En haut du bus, les amoureux se tiennent la main, moi je suis un monstre, personne ne veut s’asseoir à côté de moi, je chante juste une chanson avec Ivor dans le bus (Ivor on the Bus)

How many spiders are in this shed? Hang me up till I’m quite dead – Combien d’araignées y a-t-il dans cette cabane ? Pends-moi jusqu’à ce que je sois tout à fait mort (Yes, Mr Pumpkin)

I just wanna be buried between your breasts, between your legs – Je veux juste être enterré entre tes seins, entre tes jambes (I Just Want to Be Buried)

All of human suffering is measured out by the length of a municipal swimming pool – Toute la souffrance humaine se mesure à la longueur d’une piscine municipale (Andrea Dworkin’s Knees)

I became an earthworm in the walls of your casket to penetrate and infiltrate your lifeless cadaver –  Je suis devenu un ver de terre dans les parois de ton cercueil pour pénétrer et infiltrer ton cadavre sans vie (Landscape Gardening)

Après tout ça, l’album se finit de manière particulièrement malade, comme dans la bande annonce d’un film d’horreur réalisé par les Monty Python dans une cave andalouse, où le cri de ralliement des ivrognes avides de sang serait ; « Throbbing Gristle ! Throbbing Gristle ! »

On ne sait pas trop si ces quelques lignes vous auront donné envie de tenter le coup, au risque de rallier la mini-horde bigarrée et déviante qui suit Luke Haines, ou si vous vous contenterez de hausser les épaules en nous plaignant avec un soupçon de mépris… Mais on s’en moque un peu, de votre opinion, en fait. La gentillesse, le bon goût et la bienveillance sont des qualités surévaluées, hein, Luke ?

 

 

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