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Le journal de Pok
19 avril 2021

Mansetlandia, la véritable histoire : "l'Atelier du Crabe / le Masque sur le Mur" de Manset (1981)

L_Atelier_du_crabe

Difficile de donner une suite au merveilleux "Royaume de Siam", impossible sans doute d'être aussi profond, aussi cohérent. Alors Manset, très productif en ce début des années 80, est allé voir ailleurs et nous a sorti cet album schizo, au titre double comme les sentiments qui l'habitent.

Il y a d'un côté une sorte de légèreté assez inhabituelle chez lui, qui sonne d'ailleurs un peu faux, qui donne l'impression, comme sur le morceau d'introduction ("l'Atelier du Crabe") qu'il se moque presque gentiment de lui-même, ce déjà vieux crabe que l'on observe avec curiosité dans son atelier. Et, inévitablement, il y a toujours de l'autre côté, cette vieille douleur qui ne s'apaise jamais, qui l'oblige à partir au bout de monde, à dire (au cas où...) "adieu" avant de peut-être disparaître.

Car dans cet album un peu hypocrite, faussement léger avec ses orchestrations insupportablement "variété française", avec ses rythmes parfois entraînants, les textes sont terribles, et permettent d'oublier la pochette atroce avec ses photos ridicules... Comme ce "Manteau Rouge" - chef d'œuvre de malaise qui aurait mérité un groupe cohérent pour le défendre (pardon aux musiciens qui ont certainement fait de leur mieux face à un Manset probablement totalement incertain) et une vraie production pour devenir une chanson (encore plus) inoubliable : car Manset y chante les génocides comme s'il s'agissait d'une simple anecdote... ce qui, si on y pense, du point de vue d'où nous sommes aujourd'hui, quarante ans plus tard, était sacrément visionnaire !

Ou comme le quasi-tube calypso de "Marin' Bar" à la mélodie trop évidente unanimement détesté (même par Manset lui-même qui a toujours regretté cette facilité) et qui, pourtant, chante si bien, si justement l'humiliation terriblement ordinaire de la prostitution dans les pays touristiques : "Elle met ses dollars américains dans son maillot de bain (...). T'oublieras pas son visage, c'est la plus belle de la plage."

Et puis, au détour d'une chanson bouleversante comme les Îles de la Sonde (un chef d'œuvre, trop court, un peu bâclé, comme tout cet album...), Manset dépose le masque (oui, celui qui finira sur le mur !) : la beauté du monde est presque asphyxiante, mais qui est assez fort pour pouvoir la refuser ? "Poissons aux longues chevelures, dauphins bleus sur fond d'Azur..."

Où sont passés les "Rendez-vous d'automne" ? Car notre enfance et son innocence sont si loin : "*T'as du sang plein les mains, tu rêves de l'Amérique...". Tu n'es plus l'enfant qui souffle dans ses doigts, "le cauchemar continue" : difficile de ne pas laisser les larmes couler, abondamment, tant, malgré la très fausse allégresse du rythme et la ringardise de ces synthés tellement "années 80", la voix de Manset porte son poids de désespoir. "Les bras se tendent, les troncs se fendent".

Oui, ce disque a déplu, déplaît et déplaira à tous les gens de (bon) goût. Et pourtant ils ont eu, ont et auront tellement tort, parce qu'il est, malgré tout, malgré ses faux pas (ou peut-être à cause d'eux...?) une terrible déchirure. Parce que le génie - bizarre, peu commode - de Gérard Manset y est aussi saisissant que dans ses meilleurs albums : le masque sur le mur fait tellement "froid dans le dos", et même s'il ne "dit jamais un mot", le voyageur malgré lui n'a pu que disparaître. Encore une fois. Parce que de cette Vie, "on n'en revient pas". Et n'espérez même pas trouver des traces de toute cette tristesse infinie. "On peut rien lire, tout est rayé".

Non, on n'en revient pas.

 

 

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