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Le journal de Pok
22 février 2021

"The Little Drummer Girl", mini-série de Park Chan-Wook : l'espionne qui venait du théâtre...

The Little Drummer Girl affiche

En 2018 sortait, sans faire beaucoup de bruit, The Little Drummer Girl, la première série télévisée entièrement réalisée par l’immense Park Chan-Wook (Old Boy, Mademoiselle, entre autres merveilles…), adaptée qui plus est d’un roman du non moins colossal John Le Carré – déjà porté à l’écran, et assez médiocrement pour le coup, par George Roy Hill dans les années 80. On ne peut que se demander pourquoi une telle réussite a aussi peu fait parler d’elle, tant on peut objectivement considérer qu’il s’agit là, non seulement de la meilleure adaptation jamais faite d’un livre de Le Carré, mais même de la seule qui rende réellement honneur à la complexité intellectuelle et émotionnelle de ce maître de l’espionnage ultra-cérébral !

Le thème est du pur Le Carré classique : le Mossad séduit, recrute et entraîne une jeune actrice anglaise pour infiltrer les rangs d’une organisation terroriste palestinienne responsable d’attentats en Europe. Bien entendu, les choses ne se passeront pas exactement comme prévu, même si… mais il ne faut pas en savoir plus pour apprécier The Little Drummer Girl à sa juste valeur. Et bien entendu, voilà une série qui ne joue pas la carte de la facilité, mais qui se révèle d’une précision presque chirurgicale dans son scénario et son interprétation (sans même encore parler de la mise en scène au cordeau de Park Chan-Wook…). Une série qui s’avère sans doute trop exigeante en termes d’attention de la part du téléspectateur pour captiver les foules qui préféreront toujours, assez logiquement d’ailleurs, les aventures épiques et tonitruantes d’un espion d’opérette comme James Bond…

Le choix de Park Chan-Wook pour cette adaptation est une évidence absolue : son attention maniaque aux détails et son perfectionnisme bien connus collent idéalement à la démarche littéraire de Le Carré. Certes, ce souci d’une stylisation formelle et d’un esthétisme minutieux (ah, ces couleurs !) peuvent éventuellement aller à l’encontre de la véracité de la description faite par Le Carré des manipulations échafaudées par les services secrets, mais retranscrit finalement de manière symbolique la fausseté absolue de leur univers. Car le vrai sujet de The Little Drummer Girl, comme d’ailleurs de nombreux livres de le Carré, c’est comment une fiction inventée par les brillants cerveaux des « espions » peut finalement devenir la réalité de tous, permettant ainsi aux manipulateurs d’atteindre – ou non, car il y a bien entendu des imprévus – leurs objectifs. Et cela confère à la série un double aspect : « méta » d’un côté - les agents du Mossad étant les scénaristes et metteurs en scène de l’histoire, alors que l’infiltrée est l’actrice qui doit apprendre son rôle à la perfection, mais être également capable d’improviser de manière crédible –, The Little Drummer Girl est également d’une très haute complexité psychologique… Qui permet à Park Chan-Wook de se régaler en nous démontrant comment faire pour reconfigurer totalement le mode de pensée d’une personne, et ce en dépit même de ses convictions profondes…

… Ce qui nous amène à parler de la qualité générale de l’interprétation de la série, mais surtout de la jeune Florence Pugh, qui conjugue ici charisme naturel et précision des émotions : sans elle, il serait impossible de croire complètement à cette mutation de jeune actrice à agent du Mossad, doublée d’ailleurs d’une déliquescence progressive de ses convictions, brouillées par la confusion de ses sentiments. Il s’agit là, on le répète, de l’un des sujets centraux de l’œuvre de John Le Carré, la corruption progressive de l’âme du manipulateur, qui l’amènera à franchir des barrières éthiques et mentales qu’il ne pensait pas négociables. C’est ainsi que, porté par Florence Pugh autant que par la mise en scène de Park Chan-Wook, The Little Drummer Girl se clôt sur l’un de ces victoires partielles qui a plutôt un goût de défaite, et sur des personnages qui ont presque tout perdu – pour les « victimes », leur vie, mais pour les « bourreaux » leurs illusions, voire leur âme.

Il est difficile de ne pas être bouleversés - et atterrés - par cette trajectoire de perdition de personnages qu’on a appris à aimer, qu’ils soient agents du Mossad ou combattants palestiniens (envers lesquels le scénario de la série pourrait néanmoins être accusée d’être un peu trop bienveillant…). Il est impossible par contre de ne pas se sentir heureux à l’idée que John Le Carré ait pu voir, avant de disparaître, l’une de ses œuvres les plus importantes adaptée de si brillante manière à l’écran.

 

 

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