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Le journal de Pok
1 janvier 2021

"Serpentine Prison" de Matt Berninger : une luxueuse escapade en solo

Serpentine Prison

La question qui se pose systématiquement quand on a affaire au premier album solo d’un membre-clé d’un groupe important est ce que cette approche individuelle va retirer et ce qu’elle va ajouter, ou pour les plus audacieux, en quoi elle va différer de la musique que l’on connaît déjà de sa part. Parce que, évidemment, dans le genre, on a connu beaucoup plus de projets « inutiles » de la part de chanteurs, de leaders de groupes fameux – quelqu’un se souvient-il des albums solos de Mick Jagger ? – que de prises de risque justifiant artistiquement la démarche – comme dans le cas, par exemple, du décollage audacieux de Peter Gabriel en rupture de Genesis

Pour ce très beau "Serpentine Prison" du chanteur de The NationalMatt Berninger, on nous permettra de suspendre notre jugement : si cet album ne constitue pas vraiment une surprise stylistique, particulièrement par rapport à la première partie de la carrière de The National, mais il est également tout sauf un disque inutile. C’est même une vraie réussite artistique, le genre d’album que les fans de, disons, Nick Cave ne devraient pas laisser passer sans y jeter une oreille.

Dès les premiers mots de la première chanson du disque, "My Eyes Are T-shirts", « My eyes are T-shirts, they're so easy to read / I wear'em for you but they're all about me » (Mes yeux sont des T-shirts, ils sont si faciles à lire / Je les porte pour toi mais ils ne parlent que de moi…), on sent immédiatement que l’on embarque pour l’un de ces grands voyages intimes, quasi immobiles, où se déclinent avec élégance à la fois une grande intelligence et une irrépressible sensibilité. L’orchestration est douce, combinant électricité souple et acoustique bienveillante, et cela ne changera pas tout au long de "Serpentine Prison".

Alors, bien sûr, certains, impatients, ou à la recherche de plaisirs plus expansifs, se chagrineront devant l’uniformité des ambiances : entre mélancolie et langueur, le tout débordant de classe, l’album ne s’aventure que très peu au dehors d’une certaine zone de confort, naturelle pour un auteur-compositeur new-yorkais et doué qui approche la cinquantaine. Mais plus on entre dans ce disque, plus on comprend que derrière les mid-tempos, Berninger couvre plus de territoire qu’il ne semblerait au prime abord. Distant Axis, par exemple, ne recule pas devant une touche de lyrisme stadium rock, tandis que "One More Second" débute comme un classique acoustique de Leonard Cohen avant de se transformer par la grâce d’un orgue Hammond en chanson pop lumineuse, et accueillante.

"Serpentine Prison" est luxueusement produit par le grand Booker T Jones (de Booker T & the MG’s, pour ceux qui auraient oublié ce backing band impérial), et bénéficie, entre autres, de la collaboration vocale de Gail Ann Dorsey (ex-bassiste de Bowie) sur "One More Second" et surtout sur le duo "Silver Springs". Ce qui signifie que, loin de s’enfermer dans le confort d’un savoir-faire vocal et mélodique évident, "Serpentine Prison" s’enrichit régulièrement de l’apport d’instruments divers – harmonicas, violons, clarinettes -, contribuant magistralement à une construction musicale très élaborée.

Ce qui ne veut pas dire que la déprime ne vient pas mordre sévèrement le cœur du chanteur ; sur le dépouillé et sépulcral "Dearie", on ne donne pas cher de sa peau en ces temps de confinement et d’abattement : « I am near the bottom / Name the blues, I got 'em / I don't see no brightness / I'm kind of starting to like this » (Je vais toucher le fond / Citez le nom d’un blues, je l’ai / Je ne vois pas de lumière / Je commence à aimer ça… ).

Mais on rencontre aussi de ces belles chansons d’amour qui permettent de retrouver un semblant d’espoir, même si c’est celui de ne pas terminer la route seul : « Wake mе / Take me out of town to the end / Of any road that you wanna go down /… / Because I don't know how to be here without you / I don't know how to go on » (Réveille-moi / Emmène-moi hors de la ville, jusqu'au bout / De n’importe quelle route que tu as envie de suivre /… / Parce que je ne sais pas comment être vivre sans toi / Je ne sais pas comment continuer…), chante Berninger sur la somptueuse ballade "Take Me Out of Town", et sa voix fait qu’à aucun moment, on ne sente les clichés usés pointer leur nez.

"All For Nothing" associe l’une des mélodies les plus évidentes d’un disque qui n’en manque pas à une emphase orchestrale qui réussit à ne jamais sonner pompeusement, juste avant que l’épilogue parfaite de "Serpentine Prison" – qui fait référence à un tuyau d’égout serpentant jusqu’à la mer à Los Angeles, enfermé dans une cage – ne nous rappelle dans quel monde nous vivons : « Whatever it is I try not to listen / Cold cynicism and blind nihilism / I need a vacation from intoxication » (Quoi qu'il en soit, j'essaie de ne pas écouter / Ni le cynisme froid, ni le nihilisme aveugle / J'ai besoin de vacances, loin de toute cette toxicité…).

Si "Serpentine Vision" échoue – de justesse – à être ce qu’on qualifie de « grand disque », par excès d’évidence et de classicisme, il sera probablement l’un de ces albums qui nous accompagnera le mieux durant les dernières semaines d’une année 2020 aussi riche en raisons de désespérer qu’en musiques superbes.

 

Matt Berninger - Serpentine Prison

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