"Alice in Borderland" de Shinsuke Sato : Ce qui arrive quand Arisu ne suit pas le lapin...
La production par Netflix de la nouvelle série japonaise "Alice in Borderland" marque une date importante pour tous les fans de shōnen (et de seinen) à travers la planète : la fin d’une malédiction, qui a vu jusque-là toutes les adaptations cinématographiques de mangas déboucher sur des résultats pitoyables (on parle évidemment de « real life », les adaptations en anime réussies ne manquant pas !), trahissant presque toujours l’œuvre originale tout en résultant en des films ridicules, la plupart du temps irregardables.
A la différence par exemple de merveilles comme "20th Century Boys" ou "Death Note", totalement dévastées une fois portées à l’écran, le manga d’Haro Asō a donc droit, lui, à un traitement que l’on a envie de qualifier de remarquable, puisque bénéficiant d’un excellent script – pas forcément fidèle à la lettre à l’œuvre originale, mais nous semblant en respecter l’esprit -, un choix d’interprètes de qualité et surtout une mise en scène plutôt élégante de Shinsuke Sato, sans même parler d’un visuel remarquable, multipliant les plans à l’esthétique scotchante : bref, du travail haut de gamme, sans doute parce que, dans la stratégie Netflix, destiné à conquérir un public international allant bien au-delà de la population geek fan de mangas, auquel on n’était pas habitué, et qui justifie sans doute partiellement, soyons honnête, le coup de cœur que l’on a ressenti devant la série. Car ce n’est pas non plus si simple de conjuguer une forme qui reste le plus possible fidèle au « matériau shōnen » de base, et qui ne rebute pas le téléspectateur lambda.
Bien entendu, la qualité du scénario original est pour beaucoup dans la réussite de la série : nous suivons le lycéen / geek Ryohei Arisu (soit la prononciation japonaise de « Alice » !) et ses amis qui se retrouvent dans un monde parallèle (?) où Tokyo a été quasi intégralement vidé de ses habitants, et où, pour survivre, ils doivent participer à des épreuves soit intellectuels, soit physiques, soit encore psychologiques (les plus terribles) qui leur permettent d’obtenir des visas à la durée limitée leur évitant d’être liquidés par un faisceau laser tombant du ciel. D’où, au programme, un mélange détonnant de résolution d’énigmes proposées à la sagacité du téléspectateur en même temps qu’aux « joueurs » de la fiction, et de suspense particulièrement intense. Et donc une satisfaction garantie pour tous ceux qui aiment cogiter dur pendant une série, toit en jouissant d’un spectacle bien tendu.
Les détracteurs de ce genre de choses parleront de puérilité, de manque de vraisemblance, de sadisme, mais ce sont des arguments pas très recevables : oui, on est ici en pleine « culture manga », avec des codes bien particuliers, mais au final pas foncièrement moins adultes que ceux qui régissent 90% du cinéma hollywoodien auquel tout le monde est désormais trop habitué pour les challenger. Oui, les amoureux du réalisme le plus extrême doivent probablement passer leur chemin, mais le monde de Borderland a une cohérence interne qui devrait satisfaire la majorité des spectateurs (même si, reconnaissons-le, la dernière partie, au sein du complexe « The Beach » montre quelques facilités scénaristiques dont on se serait passés…). Quant à l’aspect sanglant de la série, il est indiscutable, mais on est ici très loin du torture porn façon "Saw" et consorts, et au contraire on est dans un mélange bien dosée de challenge intellectuel (comprendre ce qui se passe, ce qui est en jeu, et comment résoudre l’énigme) et d’empathie vis-à-vis de personnages
Et c’est là que le choix judicieux des acteurs, correspondant à des personnages au look très manga mais néanmoins pour la plupart charismatiques, fait la différence : on aimera ainsi Tao Tsuchiya en alpiniste dure et obstinée, Kento Yamazaki dans le rôle principal du geek génial, mais surtout les « méchants » tous très réussis, de Nijirô Murakami, fascinant en Cheshire (parfaite illustration du fameux sourire flottant !) à Dôri Sakurada, magnifique psychopathe, en passant par Nobuaki Kaneko, le magnétique et fascinant « Chapelier » en maillot de bain !
On remarquera que "Alice in Borderland" s’attache à fournir à la majorité des personnages importants un background psychologique, destiné à accentuer notre empathie, avec plus ou moins de pertinence. Reste que ces flashbacks ont le mérite d’adresser nombre de questions-clé de l’adolescence, depuis le trouble du genre au harcèlement à l’école, en passant par les (inévitables) problèmes de relation avec les parents, et les addictions diverses : au-delà des stéréotypes sans doute inévitables, cela permet de dresser en filigrane d’une œuvre fondamentalement « SF » un portrait réaliste de la difficulté de grandir dans le monde moderne.
Si le dernier épisode de la saison n’est pas le plus convaincant, il introduit néanmoins la deuxième partie du « jeu », qu’on a hâte de découvrir dans la seconde saison.