"Cutterhead" de Rasmus Kloster Bro : Métro, c'est trop !
Résumons "Cutterhead" par une équation : "L'horreur de l'enfermement + la lutte des classes + l'homme (... et la femme, alors !) est un loup pour l'homme + l'illusion de l'Europe", le tout en 1h24. Présenté comme ça, le film du danois Rasmus Kloster Bro a plutôt "de la gueule", non ? Et d'ailleurs, "Cutterhead" commence formidablement bien - en tout cas pour des gens comme moi qui aiment les films, bien trop rares, qui parle du travail : on descend dans le chantier gigantesque du métro de Copenhague, en accompagnant une pimbêche prétentieuse et indifférente à la réalité de ces hommes, la plupart immigrés, qui triment sous terre, pourvu qu'elle puisse écrire un bel article exaltant la technologie danoise et les vertus de l'hospitalité européenne. Les 15 premières minutes du film sont impeccables, n'ayons pas peur de le dire.
Et puis vient l'accident - jamais montré, faute peut-être de moyens, ce qui est encore une superbe idée -, et le film se met à patiner. La tension entre les trois prisonniers, de classes sociales et d'origines différentes (une Danoise, un Croate, un Erythréen) est tangible, et l'épreuve physique - dépressurisation et re-pressurisation, confinement, changements extrêmes de température - est bien retranscrite, on a du mal à s'impliquer émotionnellement dans le film, qui essaie sans doute de trop en dire, de trop en faire, sans bénéficier d'un véritable talent de mise en scène ou de direction d'acteurs. Le passage du danois à l'anglais, certes parfaitement logique, n'aide sans doute pas non plus, mais c'est le "twist", bien peu crédible, du changement de comportement de "l'héroïne" qui nous fait irrémédiablement décrocher.
Le film se conclut par une série de scènes éprouvantes - pour qui est un peu claustrophobe -, mais qui donnent l'impression que Rasmus Kloster Bro veut avant tout utiliser la situation et les personnages, qui ne génèrent jamais aucune empathie, au profit de sa démonstration sur la "saloperie humaine". Cet aspect artificiel d'un film, qui joue pourtant la carte du réalisme, est dévoilé quand, presqu'à la fin, alors que l'éclairage a été jusque là soumis aux aléas d'une lumière "crédible" par rapport aux circonstances, on a droit à un plan très artistiquement composé éclairé, sensé fixer dans notre rétine une superbe représentation picturale de cet échantillon d'humanité souffrant et luttant sous terre...
Si la dernière scène a le courage de ne proposer aucun point de vue moral, voire même psychologique, sur ce que nous venons de voir, il n'empêche que "Cutterhead" est un film qui n'a pas les moyens de ses ambitions, et finit par décevoir.