"Years and Years" de Russell T. Davies : the roaring 20's !
Il y a deux manières de regarder et d'apprécier (ou pas...) "Years and Years", mini-série britannique politique et polémique ayant fait quelque bruit en 2019, projetant sur les 10 prochaines années nos craintes actuelles face à la montée du fascisme, à la violence croissante des relations internationales, à la désagrégation des modèles sociétaux traditionnels basés sur la communauté, etc.
On peut la voir comme une version "soap opera" de "Black Mirror", dont elle adopte largement le pessimisme et la noirceur glaçante : le premier épisode, implacable et terrassant, culmine sur une attaque nucléaire lancée contre la Chine par Trump dans les derniers jours de son mandat. Ces scènes terrifiantes font quasi écho à l'abomination montrée dans "Chernobyl", ce qui n'est pas rien. Malheureusement, à partir de ce sommet précoce, la qualité de "Years and Years" va progressivement s'effondrer, la série perdant finalement une grande part de sa crédibilité dans un dernier épisode illogique, incohérent, mal écrit, qui semble mettre à bas tout l'édifice construit jusque là pour nous rassurer avec un happy end improbable et une leçon de morale un peu trop martelée : la chute est sévère. Si l'on ajoute que, comme dans tout soap qui se respecte, les péripéties familiales frisent souvent la caricature, en dépit d'une interprétation globalement excellente (à l'exception notable d'Emma Thompson qui ne trouve jamais le ton juste pour son personnage de politicienne démagogue...), force est de convenir que nous ne sommes pas ici dans une série de haut niveau...
Mieux vaut donc passer outre les gros défauts narratifs et la réalisation lourdaude de "Years and Years" pour s'intéresser à ce qu'elle nous dit, même avec de trop gros sabots : nous sommes tous individuellement responsables du déclin de la démocratie et de la déshérence des valeurs humanistes dans nos sociétés, non seulement par nos votes (ou nos abstentions), mais par chacune des petites décisions quotidiennes que nous prenons, dans la manière dont nous consommons, dont nous traitons les autres, dont nous nous traitons nous-mêmes. Blâmer les politiciens ne nous amènera à rien si nous ne nous prenons pas nous-mêmes en charge. Certes, cette leçon de civisme et de lucidité est assénée de manière trop didactique, et illustrée par une démonstration utopique du "pouvoir du peuple" lorsqu'il se dresse pour lutter contre les outrages qui lui sont faits, mais elle a le mérite d'exister à une époque où l'abattement dérivant de notre sentiment d'impuissance ne donne naissance au mieux qu'à une violence aveugle...
Ne serait-ce que pour ce message, et pour nous laisser entrevoir une lueur d'espoir, en s'appuyant d'ailleurs sur les meilleurs aspects de la technologie (et en ça, la série se démarque de "Black Mirror" !), "Years and Years" vaut largement la peine d'être regardée !
Post-scriptum du 23/02/2020 : sinon, force est de reconnaître que, malheureusement, la Grande Bretagne de Boris Johnson ressemble d'ores et déjà beaucoup à celle anticipée ici !