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Le journal de Pok
21 avril 2019

Séance de rattrapage : "Mektoub, My Love - Canto Uno" de Abdellatif Kechiche

Mektoub my love afficheJ'ai longtemps reculé le moment de voir "le dernier Kechiche", j'y suis même rentré à reculons : la polémique sur la complaisance dans le filmage des corps féminins, et puis aussi mon scepticisme quant à la pertinence de filmer en 2018 une population arabe vingt ans plutôt, bien intégrée avant que le retour du religieux fasse les ravages que l'on sait dans la société française... tout cela me refroidissait. Bien entendu, j'avais tort, et "Mektoub, My Love Canto Uno" - avec son beau titre polyglotte et son projet radical - pourrait bien être le meilleur film de Kechiche. Et celui qui correspond le plus parfaitement à mes goûts à moi en termes de cinéma...

On est donc à Sète dans les années 90, c'est l'été et les corps se dénudent tandis que les esprits s'échauffent. Amin, alter ego de l'auteur, observe tout ça avec le recul bienveillant de celui qui est déjà "ailleurs", à Paris et dans un monde "artistique" qui l'empêche désormais de jouir de tout celà "au premier degré". Son regard si particulier, son élégante beauté et son écoute vis à vis de ceux qui sont sa famille et qui furent ses amis (car le sont-ils encore ?) crée peu à peu une puissante nostalgie d'une époque révolue. Une époque où nous étions jeunes (quel que soit notre âge) et où le monde était lumière et fête. Pas un monde idéal, non, puisque mensonges, hypocrisie et chagrins ne manquaient pas - comme le rappelle constamment à Amin et au spectateur la douleur sourde d'une ancienne passion pour Ophélie qu'il voit irrémédiablement attachée au trouble Tony... Mais un monde où tout est encore possible, où l'on vit ensemble, où l'on se frotte, l'on se mélange sans crainte ni tabous. Un monde qui n'a peut-être jamais existé, hors de ce seul été de rires, de larmes et de peaux nues et bronzées, que Kechiche n'oubliera sans doute jamais.

Kechiche construit merveilleusement son film en une suite de longs "blocs" que l'on qualifiera par paresse de "naturalistes", qu'il assemble sans ménagement pour nos nerfs et pour une quelque logique narrative ou psychologique, chaque bloc étant une sorte d'expérience immersive totale procurant à la fois des sensations et un point de vue différents sur ce microcosme traversé par Amin : ici on célèbre la beauté à la Renoir d'un visage et d'un corps féminin, là on filme la naissance d'agneaux, et puis on danse et on se baigne, on mange et on boit, tous ensemble et tous complètement solitaires. La baise est évacuée dès la première scène, superbe mais qui aurait dû être plus crue - Kechiche a de la réticence à filmer le corps masculin et cela crée un déséquilibre gênant -, et l'amour est relégué hors champ comme Anastasia, jeune russe - prostituée ? - introuvable dans son hôtel. Des soldats meurent en riant dans la seule - mais saisissante - référence cinéphilique de "Mektoub, My Love".

On se dit qu'on est ici dans le meilleur cinéma de Pialat sans que les conflits et les tourments y soient exprimés, et dans celui de Rohmer une fois admis que le langage a été définitivement perdu. C'est dire combien tout cela est beau, brillant même, juste toujours. On aimerait que le film, beaucoup trop court avec ses 3 heures, ne s'arrête jamais. On sait toutefois qu'il faut bien que l'été finisse, car les étés finissent toujours. On redoute l'arrivée de l'automne. Cela sera peut-être l'objet d'un second "chant"...

 

 

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