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Le journal de Pok
14 mars 2019

"Grâce à Dieu" de François Ozon : l'action libératrice

Grace_a_Dieu affiche

Il faut bien admettre que la majorité des oeuvres d'Art importantes le sont parce que leur créateur a nettement "pris parti". Loin de la tiédeur et du consensus. Le plus gros malentendu à propos de "Grâce à Dieu" - film par ailleurs vu et célébré (mais peu aimé) - vient sans doute de ce que son sujet (un cas actuel et actuellement jugé de pédophilie d'un prêtre, parmi des centaines, peut-être des milliers d'autres...) laissait attendre un parti pris militant, polémique et incendiaire, ou tout au moins malaisant. Or, Ozon, que l'on n'attendait pas sur ce terrain vu son goût parfois puéril pour la provocation, prend le parti nettement moins glamour d'aborder des faits à travers les mots qui les décrivent et en témoignent, et leurs conséquences plutôt que leur occurrence. Le tout dans le respect de la justice qui suit son cours, ce qui incite à une certaine prudence pour respecter la présomption d'innocence (décidément un sujet brûlant en ce moment au cinéma, alors que chacun d'entre nous ne se prive pas de "juger" à tout va sur les réseaux sociaux...). Le résultat - qualifié parfois de "trop documentaire", à tort à mon sens - peut frustrer le spectateur avide de sensations fortes en nous -, mais est indéniablement du GRAND cinéma.

Formellement, "Grâce à Dieu" est en effet impeccable de justesse, de précision, distillant les informations voulues au bon moment sans jamais simplifier, trahir, manipuler : il s'agit là d'un choix éthique des plus remarquables, que peu de réalisateurs auraient sans doute fait en 2019, un choix qui confirme non seulement l'intelligence mais aussi la nouvelle maturité d'Ozon. L'autre parti-pris potentiellement déroutant du film, c'est celui du passage de relais de la narration d'un personnage à l'autre, qui nous prive bien entendu du confort de l'identification et de la jouissance de l'empathie - "Grâce à Dieu" ne nous tire pas de larmes, ce n'est pas son propos - avec les victimes de ces crimes abjects. Cette manière si peu conventionnelle d'avancer ne reflète là encore pas un souci d'efficacité de la dramaturgie, mais bien une attention sincère à la manière dont se construit dans la "vraie vie" une nécessité, puis une parole, puis une action. "Grâce à Dieu" est exceptionnel parce qu'il figure - sans jamais en faire la démonstration - le passage à l'action face à un appareil totalitaire et fondamentalement répressif, dans une société démocratique : car si c'est la parole qui est libérée, c'est bien l'action qui libère... En celà, au delà de sa nécessité indiscutable face aux mensonges éhontés (au négationnisme ?) de l'Eglise Catholique - qui a voulu faire reporter / interdire sa sortie, ne l'oublions pas -, c'est aussi un grand film politique.

Dire tout cela ne signifie pourtant pas que le film soit dénué de moments forts : il en est au contraire rempli, ils ne sont seulement pas affichés comme tels, dans un souci de spectacle, mais ils n'en restent pas moins brûlants. Pour notre part, nous retiendrons particulièrement cet odieux passage de la prière commune, main dans la main, imposée entre le monstre et sa victime. A ce moment-là, toute l'abomination de la doctrine et de l'appareil catholique hurle littéralement à notre visage. Que Ozon ait alors choisi le silence plutôt que les cris montre quel grand réalisateur il est devenu.

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