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Le journal de Pok
16 décembre 2018

"Roma" d'Alfonso Cuaron : A la recherche du temps perdu

Roma affiche

Que sommes-nous si ce n'est la somme de nos souvenirs ? Et parmi ceux-ci, lesquels sont plus précieux que ceux de notre enfance, ceux des années fondatrices ? Il arrive donc inévitablement ce moment, dans la vie de tout homme ou de toute femme, de retourner sur nos pas voir ce qui nous a fait, sans doute avant tout pour retrouver ces sensations "perdues" dont nous sentons en nous la nostalgie. Et l'importance fondamentale.

Quand on est "artiste", créateur, et qu'on est parvenu à une certaine maîtrise de sa technique, c'est sans doute une tentation irrésistible que de recréer ces souvenirs de la manière la plus fidèle possible, dans une tentative prométhéenne de retourner dans le temps et "d'immortaliser" ce qui a été si important et qui a disparu. C'est sans doute celà qui a conduit Alfonso Cuarón, jusque là plutôt "super-technicien" du cinéma ("Children of Men" et "Gravity", avant tout...) à la démarche de "super-auteur" de "Roma" : mettre sa totale maîtrise de la narration, de l'image, du son, du montage, de la mise en scène au service de ce projet aussi banal que dément de récréation minutieuse d'un monde disparu, celui de son enfance, celui des années 70, celui de Roma, le quartier de Cuidad de Mexico où il a grandi au sein d'une famille qui s'est délitée comme tant d'autres. Ne pas filmer une histoire, ce qui aurait été trop "facile", mais des moments, des images, des sons qui font, par leur assemblage, beaucoup plus sens pour lui que le banal récit anecdotique d'une enfance : des fragments incandescents sortis tels quels de sa mémoire. Le ciel qui se reflète dans l'eau qui sert à laver le sol. Les crottes du chien dans le couloir. La voiture américaine du père, trop clinquante, trop large, que maman rape rageusement contre les murs ou un camion. La fanfare qui passe dans la rue. Un feu de forêt la nuit de Noël. Les vagues tumultueuses qui manquent de nous emporter. La découverte du "Atrapados en el Espacio" de Sturges, qui lui donnera sans doute envie de réaliser "Gravity"...

... Avec en plus une intuition véritablement géniale : se placer soi-même au bord du cadre, dans une position discrète, presque invisible (car lequel de ces 3 garçons est-il vraiment ?), pour fixer le regard du spectateur sur les véritables héroïnes de sa vie, sa mère, folle de douleur, sa grand-mère, bloc mutique rassurant, et surtout la bonne mixtèque, irrémédiablement en bas de l'échelle sociale, qui l'a élevé, et qui a vécu le drame tellement ordinaire de la grossesse précoce.

Et l'humilité et la générosité de ce parti-pris d'accompagner patiemment celles qui sont "siempre solas", au long de leurs épreuves (le départ du mari infidèle, la disparition de l'amant violent - en pleine salle de cinéma ! -, la terreur de la violence lors de manifestations étudiantes, un accouchement cruel, etc.) rachète largement la surabondance ostentatoire de tours de force techniques, et le perfectionnisme un peu étouffant de la mise en scène.

Car "Roma" est une oeuvre spectaculairement splendide - image et sons - qu'il faut voir dans les meilleures conditions possibles pour pouvoir en jouir, et rejoindre Cuarón dans sa démarche presque maniaque. C'est aussi un film qui refuse beaucoup des facilités habituelles du cinéma (pas de musique ! Alleluiah !), et qui nous demande de faire longuement connaissance avec ses personnages avant de ressentir - avec eux - leurs émotions déchirantes, dans la toute dernière partie. C'est un voyage qui n'a pas de destination - car, à la fin, "la vie continue" -, c'est une visite inespérée dans la mémoire d'un cinéaste, qui peut évoquer d'autres visites passées ("Amarcord" de Fellini nous est ainsi venu à l'esprit...). Cela peut être aussi une incitation à retourner nous-mêmes visiter nos propres souvenirs, à la recherche du temps perdu.

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