The Damned à l'Elysée Montmartre (Paris) le samedi 17 novembre
20h50 : Une musique très cinématographique – que je connais très bien mais n’arrive pas à reconnaître – marque l’entrée sur scène de The Damned, dans une ambiance de thriller de série B ma foi bien sympathique (renforcée par la reproduction derrière les musiciens de la jolie pochette de "Evil Spirits", leur dernier album. Bon, pour ceux, nombreux, qui n’auraient pas suivi le groupe durant les dernières quatre décennies, il ne reste du combo punk original que Dave Vanian au chant – le grand responsable du tournant "gothique" du groupe – et le fabuleux Captain Sensible à la guitare : grand clown devant l’Eternel, ce musicien rapidement considéré comme l’un des meilleurs de la vague 77, équilibre par sa joie exubérante et sa guitare volcanique la rigueur austère de Vanian. Bref, deux courants musicaux absurdement opposés qui s’équilibrent dans une musique – goth, post punk, new wave, je ne sais quoi – qui s’avère étrangement riche et envoûtante.
Bon, on commence par l’inévitable référence aux origines, Born to Kill, une chanson que je n’ai pas écoutée depuis 40 ans, mais qui me revient instantanément en mémoire :
« It's no kind of big deal / No carnegie steal / I don't feel like no heel / When I'm born / Said I'm born / Yeah I'm born / When I’m born to kill ».
Le public, en grande partie quinquagénaire, s’ébroue de contentement, mais ce qui me frappe surtout, c’est combien ces types initialement considérés comme des clowns, à cause de leurs pitreries perpétuelles, sont devenus une incroyable machine à tuer : juste devant moi, Paul Gray saute dans tous les sens en torturant sa Rickenbacker au son évidemment caverneux, tandis que Monty Oxymoron, lutin ventripotent et chevelu (« un géant parmi les nains », comme le présentera Vanian !) délire complètement sur ses claviers. Vanian, au centre, même s’il a heureusement abandonné son look Bela Lugosi, joue au crooner classique, en costume et chemise noirs, lunettes noires et gants noirs. Au fond, Captain Sensible est à lui seul LA musique du groupe, rigolard et concentré à la fois : il a troqué son légendaire béret rouge pour un petit chapeau noir, son nez est chaussé de petites lunettes rondes qui marquent son âge, et ses belles boucles blondes sont réduites à un léger moutonnement argenté, mais c’est lui, c’est le PUTAIN de Captain ! Dans le fond, le batteur est… un batteur : rien à signaler de particulier, désolé.
C’est à partir de Wait for the Blackout, premier titre d’un enchaînement parfait d’extraits de "The Black Album", pour toujours le plus bel ouvrage du groupe, qu’on prend toute la mesure de ce que The Damned est devenu : un foutu jalon du Rock Anglais, dans ce qu’il a de plus classique, élégant, éternel. J’avais peur de renouer avec des souvenirs qui seraient devenus un peu ringards, et je me retrouve devant un spectacle totalement classe, à la fois noir – on ne se refait pas -, intense et généreux. Et surtout d’une folle énergie : car s’il ne reste pas grand-chose des racines punks des Damned, ils n’ont rien perdu de cette extraordinaire rapidité qui caractérisa leur apparition avec le single New Rose (qui fut rappelons-le, le premier disque officiel du punk anglais !). Même les morceaux plus mid-tempo semblent soulevés du sol par une puissance irrésistible. Impossible ou presque de prendre des photos car les musiciens sont toujours en mouvement, et le spectacle est total. Vanian reste néanmoins souvent dans une posture solennelle soulignée par son look sombre et son air sérieux, éclairé juste par un spot vert et concentré sur son élégant micro rétro : le vampire de ces dames est donc devenu un chanteur appliqué. Mais, même s’il délègue le spectacle aux autres membres du groupe, et la fantaisie au Captain, Vanian vient régulièrement au contact du public : c’est ainsi qu’il me choisira moi particulièrement pour chanter dans le micro à deux reprises ! J’avoue que, avec la voix que je me trimballe, c’est un peu la honte, mais j’avale ma fierté, je me dis que la lave en fusion qui sort de la guitare du Captain couvrira mes glapissements de porcelet qu’on égorge, et je braille, braille les refrains. Bon, Vanian, n’a pas l’air de m’en vouloir de chanter aussi mal, tout va bien !
Je n’ai pas parlé du dernier album, que je connais mal, mais ce que nous en avons entendu ce soir, en particulier le superbe I don’t care, avec sa belle montée en puissance, prouve que le groupe n’a toujours pas perdu son inspiration… New Rose et Neat Neat Neat termineront le set dans le grand moment nostalgique inévitable, mais ce sera un jeune punk arborant une fière iroquoise qui montera sur scène nous rappeller que cette énergie-là est toujours pertinente en 2018.
« Be a man can a mystery man / Be a doll be a baby doll / It can't be fun not anyway / It can't be found no way at all! / Neat Neat Neat »
Le premier rappel – car il y en aura deux, pour près d’une heure trois quarts de concert – est une fantastique surprise : Curtain Call ! Un bon quart d’heure magnifique, presque prog rock oserait-on dire. Second rappel, on apporte son béret rouge au Captain, qui nous annonce qu’on l’a autorisé à chanter une chanson, et le groupe attaque le fameux tube planétaire Wot, un peu incongru ce soir. D’ailleurs, au bout d’une minute et demie, comme si quelqu’un avait débranché la prise, le son est coupé. Ça suffit ! Repassons aux choses sérieuses, et ce sera le légendaire Jet Boy, Jet Girl d’Elton Motello, soit l’un des textes les plus sensationnels et provocateurs du mouvement punk, interdit dans une nuée d’endroits, dont certains états des USA : chant désespéré et furieux d’un adolescent amoureux d’un homme mûr qui le trompe avec une femme, c’est une chanson superbe où la rage punk sert un vrai sujet polémique.
« Jet boy I'm gonna make you penetrate / I'm gonna make you be a girl / Ooooohhhh/ Jet boy jet girl »
Le problème, évidemment, c’est qu’une grande partie du public pense qu’il s’agit d’une reprise de Ça Plane Pour Moi, le tube inoffensif de Plastic Bertrand : à leur décharge, admettons qu’il s’agit d’une méprise commune et explicable, le même enregistrement original ayant servi aux deux chansons !
Il est temps d’envoyer tout le monde se coucher sur la décharge électrique de Smash It Up. Les musiciens ont l’air sincèrement content du concert, le public est aux anges, j’entends tout autour de moi les mêmes mots qui tournent en boucle : généreux, puissant, classe, etc. On est bien tous d’accord : si vieillir se traduit chez beaucoup de musiciens par un ressassement des mêmes idées et un épuisement de l’inspiration, les Damned font partie, contre toute attente – car qui aurait parié sur eux en 1977 ? – des gens qui font honneur à leur époque comme à celle d’aujourd’hui.