"Fudge Sandwich" de Ty Segall : Pin-Ups !
Nous, on pense que Ty Segall a pris la mouche quand il a vu que les Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard ont été capables de pondre cinq albums sans rien sacrifier en qualité en 2017 : sans rien annoncer à l’avance (on ne sait jamais, peut-être arriverait-il à six… d’ailleurs c’est encore possible… !), il a donc relevé le défi… "Fudge Sandwich" est en effet, à date, le cinquième disque publié par le génial touche-à-tout californien (que l’on ne peut d’ailleurs plus qualifier de tête de pont du Rock Garage, tant il a, ces dernières années, réussi à montrer une versatilité musicale étonnante), après "Freedom Goblin", en janvier, "Joy", en collaboration avec White Fence en juillet, "Pre Strike Sweep", sous l’étiquette GØGGS en septembre, et l’obscur "Orange Rainbow", une cassette à tirage très limité !
Bon, on veut bien admettre que Ty triche un peu cette fois, car il nous offre sous l’appellation – et la pochette – peu ragoûtantes de "Fudge Sandwich" ni plus ni moins que onze reprises de morceaux obscurs ou très connus, mais qui, semble-t-il, ont tous été importants pour lui à un moment ou à un autre de sa vie (… car, sinon, où serait l’intérêt ?) : il nous ballade ainsi du plus classique ("I’m a Man" du Spencer Davis Group, énergique et dansant, une superbe madeleine proustienne pour ceux qui ont connu cette époque…) au plus pointu ("Slowboat", qui ravira certes les fans de Sparks comme nous, mais qui n’est malheureusement ni le meilleur morceau des frères Mael, ni le meilleur titre ici !),
Comme l’avait réussi Bowie, l’un de ses modèles, pour "Pin-Ups" (le premier exemple d’album de reprises qui soit aussi une déclaration d’intention qui vient à l’esprit en écoutant "Fudge Sandwich"), Ty Segall combine brillamment une véritable dévotion envers ces chansons qui ont visiblement constitué une large part de son éducation (comme sur Isolation, où l’on retrouve non sans émotion des accents lennoniens dans la voix de Ty), avec une réinvention souvent passionnante de ces standards ("The Loner" devient ainsi un incroyable brûlot punk speedé, qui bien sûr ne contredit en rien le propos originel de Neil Young !). Donc, comme il est désormais d’usage sur ses albums, Ty nous offre une belle palette de ses talents, une savoureuse variété d’ambiances, depuis les excès assez prévisibles de guitare fuzz (comme dans le punk rocker jouissif qu’est "Rotten to the Core" des Rudimentary Peni, condamnation énervée du succès de Johnny Rotten ou de Joe Strummer : « Have you Realised that Rock Stars / Always seem to lie so much? / John Lydon once said he cared / But he never really gave a fuck / Said he'd use the money he made / So that people would have somewhere to go / But now he lives in the USA / and Snorts Coke after the Show. ») jusqu’à une certaine sobriété introspective, comme la belle relecture du "Pretty Miss Titty" de Gong.
Bref, même si "Fudge Sandwich" n’est pas un album essentiel, il nous conforte quant au bon goût de notre rocker préféré du moment, un artiste qui sait faire le grand écart, mais avec discernement et pertinence : du Grateful Dead ("St. Stephen" revisité pied au plancher, dans un bon esprit Londres 77) aux Dils, dont le "Class War" reste une belle chanson engagée et belliqueuse – donc en décalage certain par rapport à ce qu’on « attend » de la musique de nos jours…
« If I'm told to kill / A Cuban or African / There'll be a class war / Right here in America ! ». Et si derrière l’engagement musical sans faille de Ty Segall, "Fudge Sandwich" dessinait aussi en creux le portrait de son engagement politique, si nécessaire à notre époque troublée ?