Séance de rattrapage : "Silence" de Martin Scorsese
On sait que la religion catholique et le mystère de la foi ont une place importante - même si ce n'est souvent qu'en sous-texte - dans l’œuvre de Scorsese, et on imagine donc combien "Silence", long film résolument non-commercial (au moins pour notre époque) a été un projet personnel pour son auteur. La question est de savoir si, au delà de la beauté formelle du film, de l'intelligence permanente dont Scorsese fait preuve dans cette adaptation d'un sujet historique difficile (la manière dont le Japon, au XVIIe siècle, a éliminé la menace que constituait pour son système social la montée du Christianisme importé d'Europe), "Silence" peut parler à quelqu'un qui n'est ni croyant ni intéressé par la foi. La réponse est - évidemment ? - oui, malgré certaines décisions qui décrédibilisent partiellement le film, comme le choix d'acteurs américains et de la transposition trop systématique des dialogues en langue anglaise... Oui, parce que le cœur du film est évidemment le doute, dans ce qu'il a de nourrissant et de destructeur à la fois, et qu'il s'agit là d'une question universelle, sous-tendant toute réflexion philosophique ou morale digne de ce nom. Au delà de nombreuses scènes de supplices éprouvantes, même si elles ne sont jamais gratuites, Scorsese représente superbement l'affrontement, terriblement inégal - même si cette inégalité peut nous sembler paradoxale à nous, occidentaux - entre deux modes de pensée, deux manières radicalement opposées d'appréhender le monde, un affrontement qu'il ne simplifie ni ne caricature jamais. Il est par exemple difficile de ne pas admirer la force et la subtilité de la culture japonaise, aussi cruelle et implacable soit-elle, ainsi que la complexité des affrontements verbaux qui élèvent la seconde partie du film vers une véritable excellence. En tant que non-croyant, je déplore le dernier plan, qui lève inutilement le doute, justement, mais il est possible d'y voir une sorte de cadeau que Scorsese se fait à lui-même, pour ne pas admettre que la défaite ait été totale.