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Le journal de Pok
7 mars 2017

"Bravoure" d'Emmanuel Carrère : la cabine du Capitaine

BravoureBien différent du travail ultérieur d'Emmanuel Carrère, "Bravoure" est une expérience littéraire hors du commun, pas tout-à-fait maîtrisée tant ses ambitions sont immenses, mais parfaitement passionnante. Le roman est constituée en 3 parties, qui s'assemblent l'une à l'autre par une transition aussi bien "spirituelle" que physique (le passage d'une porte, la descente d'un escalier), tout en se superposant puisque certains personnages sont "dédoublés" (Polidori - le Capitaine par exemple) tandis que d'autres semblent vivre dans les deux temporalités (1815 et l'époque de l'écriture du livre, dans les années 80). Construit autour de la scène fondatrice qui est le moment où Mary Shelley "trouve" le sujet de son futur fameux "Frankenstein", "Bravoure" explore de manière très conceptuelle le vieux thème de l'inspiration de l'écrivain : d'où vient-elle, de récits entendus çà et là, d'une partie secrète de notre imagination, ou bien... un thème qui fait écho par exemple à certains scénarios de Shyamalan, s'agit-il de la traduction inconsciente d'une réalité cachée qui ne nous est accessible qu'à travers la fiction ? La seconde partie du livre sera pour les amateurs - comme moi - de Philip K. Dick la plus passionnante, car le fan de l'auteur américain qu'est Carrère reproduit merveilleusement - et avec plus de talent littéraire ! - les scénarios paranoïaques du génie de la SF, et les remises en question en boucle de la "réalité" et de sa signification. Là où "Bravoure" devient un "mindfuck" particulièrement prenant, c'est qu'au delà de son sujet "principal", Carrère joue à multiplier à l'infini les enchâssements de récits - le merveilleux conte "alternatif" de "Frankestein" écrit par le Capitaine est sans doute le sommet du livre... -, et les jeux à tiroirs (le défi du Capitaine à Ann qui se transforme en Murder Party à Brighton !). Bref, on ne pourra adhérer à "Bravoure" qu'à condition d'aimer être mené en bateau et jouer avec l'auteur à une multiplication d'hypothèses jamais complètement cohérentes, qui ne seront, bien évidemment, pas résolues à la fin (Le David Lynch des années 2000 pourrait très bien adapter brillamment ce roman !), mais ne laisseront pourtant aucune frustration, plutôt un indéniable enchantement. Finalement, j'ai trouvé que le plus difficile ici, ce sont les cinquante premières pages, écrites dans un style volontairement lourd et pompeux (en accord avec la personnalité insupportable du pauvre Polidori) et qui semblent se perdre dans un délire opiacé gratuit: il faut néanmoins accepter cette épreuve ingrate pour arriver finalement à rejoindre la cabine pointue du Capitaine, où la fiction va s'épanouir devant nos yeux éblouis.

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