Dans notre monde bruyant, amnésique et haineux, le classicisme que manifeste de plus en plus le cinéma de Spielberg nous est désormais cher. Son "Pont des Espions", construit sur un scénario habile des Frères Coen et bénéficiant de l'interprétation magistrale d'un Tom Hanks qui se bonifie clairement en vieillissant (et en prenant de l'épaisseur !), est donc l'un des vrais plaisirs de cette fin d'année marquée "dans la vraie vie" par la haine de l'autre et dans les salles par une fatigante succession de films vains. Plus dans la digne lignée des chefs d'oeuvre de Le Carré que des missions impossibles de nos Jason Bond interchangeables, "le Pont des Espions" nous rappelle avec une classe impeccable (mise en scène ample mais précise, caractérisation remarquable de l'ambiance de Berlin Est au moment de la construction du "mur", photographie superbe) que l'humanité n'a rien à faire du patriotisme des nations, et qu'un honnête "homme debout" (le rôle idéal pour Hanks, admettons-le) peut racheter les lâchetés de son époque. Regrettons l'utilisation maladroite de la musique - les 10 premières minutes sont silencieuses et Spielberg aurait clairement dû avoir le courage de continuer ainsi - et une scène contre-productive et assez stupide faisant un parallèle niais entre escalade de grillages aux USA et franchissement mortel du Mur de Berlin -, mais réjouissons-nous de l'intelligence et de la sensibilité de ce "Pont des Espions" intemporel en dépit de son inscription réussie dans l'histoire du XXe siècle.