Fletcher - fantastiquement incarné par J.K. Simmons, enfin parvenu à la reconnaissance qu'il méritait depuis longtemps - a des chances de figurer au palmarès des enseignants / meneurs d'hommes les plus tyranniques du cinéma, et ce n'est que justice. Car la grande idée de "Whiplash", c'est de déplacer la rhétorique de la formation militaire (comment ne pas penser à la première partie de "Full Metal Jacket" ?) vers la recherche de l'excellence dans le domaine de l'Art. Ce qui fait que, au cas - improbable - où l'on se lasserait des manipulations sadiques du professeur de musique, il nous resterait toujours à réfléchir sur l'éthique extrême que prône le film de Damien Chazelle quand on veut arriver à l'excellence. Sacrifier l'amitié, la santé - ces nombreux plans de mains sanglantes - et, sans aucune hésitation (ou presque) l'amour et le bonheur, pour l'atteinte d'une perfection (quasi fascisante, oui, et c'est bien là l'un des thèmes sous-terrains de ce film retors et complexe)... voici un programme paradoxalement original dans un cinéma qui tend depuis si longtemps à glorifier le talent "inné" en minimisant l'effort, le travail nécessaire. A nouveau, un propos réactionnaire ? Non, je ne pense pas, car il ne s'agit jamais là d'une "leçon", mais de la reconnaissance minutieuse, remarquable même parfois (certaines scènes sont physiquement exténuantes d'intensité), d'un choix et d'un parcours individuel, qui ne saurait nullement être considéré comme exemplaire... à l'image de la conclusion, absurde, totalement ambiguë, et donc magnifiquement audacieuse. Un dernier point, important : personnellement, je ne supporte pas le jazz, mais cela ne m'a jamais gêné devant "Whiplash", qui n'a absolument rien d'un film SUR la musique, SUR le jazz !